Stratégie marketing et performance export : quelles actions les PME peuvent-elles mettre en place en appui à leurs importateurs et distributeurs ?
Les réponses de Claude Obadia, professeur de commerce international à l’Ecole supérieure de commerce extérieur (ESCE), et d’Irena Vida, professeur de marketing à l’université de Ljubjana (Slovénie).
Qu’est-ce qui a motivé votre recherche sur la promotion des PME exportatrices ?
Claude Obadia : Irena et moi avons tous deux travaillé comme responsables export de PME et lorsque nous examinons la littérature académique sur la promotion (composante du marketing mix export), nous ne reconnaissons pas ce que nous avons vu en tant que praticiens. Voilà 60 ans que la recherche se penche sur ce sujet et nous n’avons toujours pas de réponse claire sur la manière de concevoir et de mettre en place un marketing mix export garantissant la performance. La littérature se concentre essentiellement sur l’adaptation des stratégies marketing à déployer sur le marché extérieur, avec comme base le marché intérieur ; en revanche, très peu d’études abordent la stratégie de promotion et son effet sur la performance. De plus, les PME sont le plus souvent traitées comme de petites multinationales, utilisant les mêmes stratégies que les grandes mais avec moins de ressources. La recherche étudie par exemple la coordination d’une campagne globale de publicité ou de relations publiques : des actions qui existent certes, mais que nous n’avons jamais vues à l’échelle d’une PME, même de taille importante. La plupart des études ne font pas non plus de distinction entre les modes d’export délégués (via un importateur) et les modes d’export intégrés (via une filiale de commercialisation à l’étranger). Pourtant, le contrôle et l’opérationnalisation de la promotion ne sont pas du tout les mêmes dans ces deux cas. Autre curiosité : la littérature académique fait un lien direct entre les éléments du marketing mix (dont la promotion) et la performance. Or, dans un schéma de mode export délégué (auquel les PME ont plus souvent recours), la promotion passe par un intermédiaire à l’étranger, et n’est donc pas mise en place avec un effet direct. Enfin, les études ignorent le rôle des relations sociales entre exportateur et importateur dans l’efficacité des actions de promotion. Or, la coopération et la confiance sont très importantes pour les PME qui opèrent avec un mode d’export délégué. Résultat : sur la base d’une analyse poussée de 18 articles sur la stratégie de promotion des PME exportatrices, deux tiers des hypothèses émises en regard de la promotion sont soit non vérifiées, soit réfutées. La littérature comporte donc des lacunes que nous proposons de combler avec cette nouvelle étude..
Quelles étaient les principales questions de recherche ?
C. O.: La première question portait logiquement sur la définition et l’identification des composantes du mix de promotion des PME exportatrices : quelle est la promotion export mise en place par les PME ? Deuxième question : le mix de promotion conduit il à une amélioration des performances à l’export ? C’est une question fondamentale, car comme ce n’est pas gratuit, il faudrait que ça marche. Troisième question : comment le mix de promotion influence-t-il les performances dans un mode d’exportation déléguée ? Autrement dit, comment la promotion export produit-elle son effet quand on a un importateur au milieu ? Enfin, quatrième question de recherche : quelle est l’influence des relations sociales entre exportateur et importateur sur l’efficacité de la promotion des PME sur les marchés étrangers ?
Comment avez-vous conduit cette recherche ?
C. O.: Nous avons d’abord mené une étude qualitative, en interviewant 14 PME exportatrices françaises de toute taille, de différents secteurs, avec des expériences à l’export différentes, et en utilisant une technique dite « théorie dérivée du terrain » ou parfois surnommée “théorie ancrée” (Grounded Theory). Parmi les verbatim recueillis, figurait par exemple cette citation : « Je leur ai expliqué (aux distributeurs du Ghana) comment X (le distributeur dans un autre pays) concevait et distribuait des dépliants promotionnels ». Il s’agit là de transmettre des informations d’un marché export à un autre : les responsables export ont des informations sur ce qui a fonctionné sur le marché A et, si cela peut servir sur le marché B, ils fournissent ces informations à leur importateur. Autre citation : « Nous avons formé un biologiste qui voyage et visite les laboratoires avec les vendeurs (de nos distributeurs) ». Cette entreprise de diagnostic médical envoie donc un scientifique visiter les laboratoires qui utilisent ses kits de diagnostic avec les vendeurs du distributeur. C’est ce qu’on appelle le « missionary selling », une technique de support à la force de vente du distributeur qui fait partie de l’effort de promotion. Autre verbatim : « Nous avons trouvé économique de partager les dépenses avec nos importateurs lorsqu’ils présentent nos produits dans des salons professionnels ». Il s’agit ici de partager des frais de promotion pour que le distributeur présente les produits dans un salon local. C’est ce qu’on appelle la « promotion coopérative » (cooperative promotion).
Que nous apprennent ces propos de dirigeants de PME exportatrices ?
C. O.: Après la phase d’« open coding », qui nous donne des exemples bruts, nous sommes passés à l’« axial coding » : on essaie d’identifier des points communs entre toutes les citations. Nous avons alors vite repéré deux axes sur lesquels on pouvait regrouper ces verbatims : un axe qu’on appelle le « support opérationnel à la promotion de l’importateur », et un autre portant sur le « support financier aux efforts de promotion de l’importateur ». Le support opérationnel consiste pour les PME à donner des informations sur le marketing et les ventes à l’importateur, à fournir un support marketing spécial pour le lancement de nouveaux produits, à former les forces de vente de l’importateur, ou encore à pratiquer le « missionary selling ». Quant au support financier, il prend la forme d’une « promotion coopérative » (l’exportateur paie une part du coût de l’action de promotion mise en œuvre par l’importateur, par exemple une campagne locale, un site web, une participation à un salon) ou, plus rarement, d’un budget accordé par l’exportateur à l’importateur pour la promotion.
Quel est le principal résultat de cette étude ?
C. O.: Nous avons répondu à notre première question de recherche : nous pouvons définir le mix de promotion des PME sur les marchés export comme « un support opérationnel et financier de l’exportateur pour les efforts de promotion locale mis en œuvre par ses représentants à l’étranger ». Cela nous donne une définition, mais aussi les composants de la promotion export des PME. Cela nous permet également de créer une échelle de mesure de la promotion export, ce qui est indispensable pour pouvoir étudier son effet. Nous sommes ensuite passés à une deuxième étude, quantitative, auprès de 251 PME françaises.
En quoi consistait cette deuxième étude ?
C. O.: Nous avons développé pour cette étude un modèle conceptuel, fondé sur la théorie de l’agence, qui est aussi la théorie de la délégation, ce qui semble logique quand on a un distributeur à l’étranger. Nous avons décidé d’étudier séparément l’effet du support opérationnel et celui du support financier. Nous avons d’abord observé l’effet sur le distributeur, car il est bien question ici d’un support à ce distributeur : les actions de promotion de l’exportateur accroissent-elles les efforts de promotion réalisés par le distributeur ? Et si ce distributeur accroît ses efforts de promotion, on espère avoir une performance commerciale supérieure. L’effet de la promotion de l’exportateur est donc indirect via l’effort de l’importateur (effet médiateur). D’autre part, nous avons voulu étudier aussi ce qui se passait au niveau des relations sociales entre exportateur et distributeur : comment la coopération joue-t-elle ? Sur ce sujet, en l’absence de bases théoriques, nous avons posé des hypothèses concurrentes, fondées sur deux théories différentes. La première avance que les relations sociales n’ont pas d’effet direct, mais jouent un rôle d’un « lubrifiant » qui permet au marketing mix de mieux fonctionner entre l’exportateur et l’importateur (effet modérateur). Autrement dit, l’effet du support opérationnel de l’exportateur sur l’effort de promotion de l’importateur va être plus fort avec de la coopération. Quant à la deuxième hypothèse, elle dit que le support de l’exportateur joue sur la motivation de l’importateur, ce qui permet de développer la coopération entre les deux entreprises, cette coopération conduisant alors l’importateur à faire un effort supérieur. Là encore, la coopération apparaît comme médiateur de l’effet du support opérationnel sur l’effort de l’importateur.
Quels sont les résultats obtenus ?
C. O.: Notre premier résultat confirme que le support opérationnel exerce un effet sur la promotion par l’importateur et sur la performance export. Ce qui valide l’hypothèse selon laquelle le support opérationnel a un effet indirect sur la performance. Par contre, ça ne marche pas pour le support financier : cette hypothèse n’a pu être vérifiée car, le résultat n’est pas significatif. L’effet modérateur de la coopération ne fonctionne pas non plus. Par contre, le support opérationnel de l’exportateur accroît bien la coopération entre les deux entreprises, ce qui conduit l’importateur à faire un effort plus important… donnant lieu au final à une performance améliorée. Ensuite, nous avons regardé ce qui se passe si on ne fait que le support financier (sans support opérationnel), et avons constaté que c’est concluant : cela augmente l’effort de promotion par l’importateur et exerce par conséquent un effet sur la performance export. Principal enseignement pour les PME exportatrices : dans la mesure où on peut fournir un support opérationnel, rien ne sert d’apporter en même temps un support financier. Par contre, si l’on n’est pas en mesure d’offrir un support opérationnel, le support financier convient très bien.
En conclusion, quelles sont les principales contributions de votre recherche ?
C. O.:
Après 30 ans de confusion, nous avons pu définir et identifier le contenu du mix de promotion export des PME. Nous avons également montré que le support de promotion de l’exportateur a un effet indirect sur la performance via l’effort de l’importateur… Et que ce support de promotion apporté par l’exportateur à l’importateur développe la coopération, ce qui a des effets positifs sur la performance. Nous soulignons également la distinction entre deux marketing mix export très différents l’un de l’autre : le « cross-border marketing mix », qui est conçu et mis en œuvre par l’exportateur et dont la cible est l’importateur, et le « into-market marketing mix », ou « local marketing mix », qui est mis en place par l’importateur ou la filiale export de l’entreprise et qui, lui, a pour cible les détaillants ou les utilisateurs des produits concernés.