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Projet de développement d’une PME en Asie du Sud-Est : analyse du cas Transvalor

Projet de développement d’une PME en Asie du Sud-Est : analyse du cas Transvalor

Comment une PME, déjà fortement présente à l’international, prépare-t-elle sa montée en puissance dans une région du monde à fort potentiel ? L’analyse des marchés, le choix des pays et des modes d’entrée, la mise au point de scénarios envisageables en fonction des spécificités et des moyens de l’entreprise sont des étapes incontournables. L’étude du cas de Transvalor a été publiée par Ulrike Mayrhofer, professeur en sciences de gestion à l’IAE de Nice (université de Nice-Côte-d’Azur), et Stéphane Andrietti, directeur des partenariats stratégiques et technologiques de la PME ; elle illustre de manière concrète ce processus crucial. Leur contribution souligne la diversité des dimensions qui doivent être prises en compte pour préparer la décision ; ils nous expliquent leur raisonnement.

 

Pouvez-vous tout d’abord nous présenter la société Transvalor ?

Ulrike Mayrhofer : Transvalor est un leader mondial des logiciels pour la simulation des procédés de mise en forme des métaux et des plastiques. L’entreprise opère dans un environnement BtoB, ses clients étant des industriels de différents secteurs (automobile, aéronautique, énergie, BTP, médical, etc.). Née en 1984 d’un spin-off de l’Ecole des Mines de Paris, cette PME est basée à Sophia Antipolis près de Nice, dans le sud de la France. Transvalor emploie près d’une centaine de personnes et réalise un chiffre d’affaires de plus de 10 M€. Ses principaux actionnaires sont l’Ecole des Mines de Paris (49 %), BNP Paribas, le Crédit Lyonnais et la Fondation Mines ParisTech. Depuis sa création, elle développe des partenariats avec des laboratoires de recherche académiques. 

 

Quel a été jusqu’ici le développement international de l’entreprise ?

U. M. : Transvalor est une société très active et très expérimentée à l’international. Elle peut s’appuyer sur une équipe internationale travaillant en France et à l’étranger, ainsi que sur ses relations avec des laboratoires de recherche et des réseaux professionnels à l’étranger. Aujourd’hui, l’entreprise est présente – via des filiales, des bureaux de vente ou des distributeurs – en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie et au Moyen-Orient. Elle compte environ 1.000 clients à l’échelle mondiale.

 

Transvalor s’est d’abord développée en Europe occidentale à la fin des années 1990. Elle a poursuivi sa croissance internationale en Europe, mais aussi aux États-Unis et en Asie dans les années 2000, puis toujours en Europe, en Amérique du Nord, en Chine, au Brésil et en Thaïlande dans les années 2010, et plus récemment aux Émirats Arabes Unis et en Inde dans les années 2020. En termes de modes d’entrée, l’entreprise a d’abord privilégié les exportations directes (vente directe et bureaux de vente) et indirectes (distributeurs), puis a créé ex nihilo une filiale aux Etats-Unis et un bureau de vente en Chine au cours des années 2010. Elle compte aujourd’hui deux filiales (Etats-Unis, Dubaï) et trois bureaux de vente (Chine, Inde, Brésil). 

 

On observe donc que l’entreprise s’est d’abord développée dans des pays voisins (Europe) pour acquérir de l’expérience, avant de partir à la conquête de marchés plus éloignés. Parallèlement, elle a aussi renforcé son engagement sur certains marchés stratégiques en créant des filiales et des bureaux de vente. Il s’agit donc d’une internationalisation progressive, par étapes – selon le modèle de type Uppsala –adaptée aux PME dont les ressources (financières, R&D, RH) sont limitées.

 

Comment ce projet en Asie du Sud-Est s’inscrit-il dans la stratégie de l’entreprise ?

Stéphane Andrietti : Depuis deux ans, notre nouvelle équipe dirigeante a l’ambition d’imposer la marque Transvalor au niveau mondial et de renforcer la dimension internationale de l’entreprise. Dans ce contexte, les marchés du Sud-Est asiatique sont clairement une cible. Les pays visés sont ceux de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE/ASEAN) : Myanmar, Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam, Philippines, Singapour, Malaisie, Brunei, Indonésie. Par ailleurs, la création de filiales et de bureaux de vente est désormais privilégiée par rapport à l’exportation via des distributeurs – après une première expérience décevante avec un distributeur local en Thaïlande. 

 

Quels sont les principaux critères pour choisir les pays visés en priorité ?

S.A. : L’importance et les perspectives de croissance de l’industrie manufacturière, composante essentielle de notre clientèle, et en particulier de l’industrie automobile – l’un des poumons de notre activité – sont pour nous un critère déterminant. La décomposition du marché de l’industrie automobile (présence de constructeurs nationaux ou internationaux, importance des sous-traitants de rang 1 et 2, part des différents types de véhicules dans la production, etc.) a aussi son importance pour notre activité. Dans ce travail de recherche, nous nous sommes efforcés d’évaluer différents leviers, comme les investissements directs à l’étranger (IDE) ou la présence d’une main-d’œuvre éduquée, capable d’utiliser nos logiciels. Nous avons également étudié, pour les différents pays de l’ANASE, leur environnement économique, politique et institutionnel. Et bien sûr, nous devons aussi prendre en considération le paysage concurrentiel, certains de nos concurrents étant déjà implantés dans la région. L’objectif de l’analyse de ces indices macro-économiques est de faire émerger les trois, quatre ou cinq pays les plus intéressants pour nous.

 

Quels sont les principaux résultats issus de l’analyse de ces indicateurs ?

S.A. Singapour, en tant que plaque financière et commerciale, est un territoire qui a une grande importance dans notre réflexion, même s’il n’est pas très intéressant en termes d’industrie manufacturière par rapport notamment à la Malaisie, la Thaïlande, le Brunei et le Vietnam qui apparaissent en tête de liste selon ce critère.. Quand on regarde les flux entrants d’IDE, Singapour est là aussi très loin devant, mais avec des investissements plus financiers qu’industriels. 

 

Ensuite, l’Indonésie et le Vietnam se détachent des autres pays, et notamment des Philippines et de la Malaisie, qui complètent le top 5. Selon le Purchasing Manager Index –un baromètre de la confiance des managers dans les achats à venir dans le secteur manufacturier– quatre pays émergent : Thaïlande, Philippines, Vietnam et Indonésie. En ce qui concerne les taux de croissance du PIB dans le secteur manufacturier, le Vietnam arrive en tête, mais le résultat est à nuancer car le textile (qui ne nous intéresse pas) représente une part importante de l’industrie locale. Derrière, on trouve le Cambodge, le Laos, la Malaisie et l’Indonésie. Si l’on s’intéresse plus directement à la production automobile, Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Vietnam et Indonésie se démarquent. Enfin, pour ce qui est de la main-d’œuvre locale ayant suivi des études supérieures, le Vietnam est le mieux placé, devant Singapour, Brunei, l’Indonésie et la Thaïlande.

 

Quels sont les enseignements de cette étude en termes de pays à viser en priorité ?

S.A. Cette analyse nous a permis de sélectionner quatre pays présentant des perspectives intéressantes pour Transvalor. Même si Singapour ne se distingue pas sur les indices manufacturiers ou la production de véhicules, en tant que plaque tournante, ce pays apparaît intéressant pour initier et piloter une activité en Asie du Sud-Est, y compris sur le plan de l’éducation de la population et de la qualité de vie pour les expatriés. Ensuite, dans notre analyse le Vietnam coche beaucoup de cases : 1er pour la croissance du PIB dans les secteurs manufacturiers et pour la main-d’œuvre locale ayant fait des études supérieures, 3e pour les flux entrants d’IDE et pour le PMI dans les secteurs manufacturiers, 4e pour la production automobile. De son côté, la Thaïlande arrive en tête pour le PMI dans les secteurs manufacturiers et pour la production automobile ; par contre, la stabilité politique de ce pays peut poser question. Enfin, la Malaisie, 3e pour la production automobile et 4e pour la croissance du PIB dans les secteurs manufacturiers, est aussi un territoire qui mérite toute notre attention. 

 

Quelles sont les possibilités envisagées par Transvalor concernant les modes d’entrée dans les pays visés ?

S.A Concernant les modes d’entrée, nous avons envisagé quatre scénarios que avons appelés « observation », « coopératif », « actif » et « offensif ». Le premier scénario, l’observation, s’appuierait sur la création d’un bureau de représentation en Thaïlande et/ou en Malaisie, avec l’objectif de renforcer notre analyse et donc notre connaissance en profondeur des marchés, et de tisser des liens avec les parties prenantes locales. Le scénario coopératif consisterait à prendre des participations financières minoritaires dans des sociétés de logiciels dotées de solides relations dans les industries ciblées au Vietnam, en Thaïlande et/ou en Malaisie, avec la possibilité d’acquérir ultérieurement ces entreprises. Dans le troisième scénario, dit « actif », nous ouvririons d’emblée des bureaux de vente au Vietnam, en Thaïlande et/ou en Malaisie. Enfin, le quatrième scénario, le plus offensif, serait de créer ex nihilo une filiale à Singapour et de l’utiliser comme « tête de pont » dans la région pour créer progressivement des bureaux de vente au Vietnam, en Thaïlande et/ou en Malaisie ; cette solution qui nous permettrait également de nous projeter plus facilement vers l’Océanie.

 

Quels sont les principaux avantages et inconvénients de ces différents scénarios ?

S.A. Dans le scénario d’observation, l’inconvénient majeur est l’incapacité de pouvoir commercer car le bureau de représentation n’a pas la possibilité de facturer. Par contre, cette option, qui serait retenue pour une période de six mois à un an, nous permettrait de développer nos réseaux locaux, la notoriété de la marque et d’accroître notre pénétration sur le marché. De plus, elle est fiscalement intéressante. 

Le deuxième scénario, le partenariat/la coopération avec des entreprises locales, est une solution intermédiaire entre la distribution via des distributeurs, que nous pratiquons aujourd’hui dans cette zone géographique, et la volonté stratégique de Transvalor de privilégier désormais l’exportation directe. Nous pourrions nous impliquer directement avec des partenaires locaux, ce qui permettrait d’abaisser les barrières culturelles et linguistiques vis-à-vis de nos clients finaux. Mais la principale difficulté est évidemment de trouver le bon partenaire. 

 

Avec le troisième scénario et la création de bureaux de vente, le potentiel de vente serait plus élevé et  l’activité contribuerait directement au revenu de l’entreprise. De plus, cette option serait cohérente avec la stratégie de l’entreprise de privilégier l’exportation directe. Par contre, elle représente un investissement financier plus important et plus risqué, sans parler des défis liés à la gestion des équipes sur place. 

 

Le scénario n°4, celui de la création de filiale, est le plus coûteux et le plus risqué ; il n’est pas notre priorité actuellement, mais c’est sans doute celui qu’il faut viser à terme. Pour nous, l’Asie du Sud-Est doit en effet être considérée comme une cible globale car, bien que les productions qui nous intéressent (forge, fonderie, etc.) dans chaque pays visé pris isolément restent modestes, regroupées elles représentent un potentiel important et un relais de croissance incontournable.

 

A l’issue de cette phase d’étude, nous estimons avoir collecté suffisamment de données pour éclairer la future décision. Le choix final sera fait ultérieurement par les dirigeants de l’entreprise.

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