Quel est l’impact des pratiques d’exportation collaborative des PME françaises sur leur niveau d’internationalisation ? Les réponses de Jean-Christophe Gessler, maître de conférences à l’IAE de Poitiers et auteur d’une thèse de doctorat sur le sujet.
Quand on dit « exportation collaborative », de quoi parle-t-on ?
On parle d’exportation collaborative quand des PME décident de travailler ensemble pour aborder l’international. Dans une vision large, cela va de collaborations aux modalités souples (échange informel d’informations, partage de containers, etc.) à des partenariats très structurés (collaborations de long terme, alliances commerciales, groupements d’exportateurs). On peut distinguer deux approches. L’une peut être qualifiée de proactive (ou push) : des entrepreneurs décident de se regrouper et de se structurer pour aller ensemble sur des marchés étrangers. A l’inverse, l’autre peut être dite réactive (ou pull) : des exportateurs identifient des opportunités sur le terrain, par exemple un appel d’offres à l’étranger, et se décident de travailler en commun pour y répondre. Les pratiques collaboratives peuvent également s’inscrire dans le court terme (simple présence commune sur un salon) ou dans le moyen et long termes – avec un historique de travail en commun pouvant parfois aller jusqu’à plusieurs décennies.
Quels étaient les objectifs de votre travail de recherche ?
Ma thèse de doctorat sur « Les pratiques collaboratives des PME françaises pour se développer à l’international » visait plusieurs objectifs. Il s’agissait d’abord d’identifier les différentes pratiques collaboratives, puis de mieux connaître les modalités de mise en œuvre de l’exportation collaborative, ainsi que les facteurs de succès et d’échec, et enfin de mesurer l’effet de plusieurs pratiques collaboratives sur le niveau d’internationalisation des PME. Pour ce travail, j’ai réalisé des entretiens avec des dirigeants de PME, des experts de l’international, des fédérations professionnelles. Et j’ai mené une étude quantitative auprès de 180 PME françaises pour mesurer l’effet de leur recours aux pratiques collaboratives sur leur niveau d’internationalisation.
Quels sont les principaux résultats que vous avez obtenus ?
J’ai pu identifier 33 pratiques différentes pour l’exportation collaborative ; elles concernent la construction de l’offre (14 pratiques), l’analyse du marché (5 pratiques), l’étude sur le marché (9 pratiques) ou des opérations courantes (5 pratiques). Les entretiens m’ont confirmé que le sujet de l’exportation collaborative intéresse tous les praticiens de l’export et en particulier les dirigeants de PME. En revanche, beaucoup d’entrepreneurs m’ont dit : « je voudrais bien travailler avec d’autres entreprises, mais je ne sais pas comment faire ni de qui me rapprocher » ou encore « je l’ai fait une fois ou deux, j’aurais voulu continuer, mais je n’ai pas le temps… ». J’ai donc pu constater qu’en matière d’exportation collaborative, la mise en œuvre n’était pas à la hauteur de l’intérêt suscité. Mais j’ai également pu mesurer que même en cas d’interruption d’un projet collaboratif, les PME progressent et apprennent grâce aux échanges avec leurs pairs. Cela leur permet de franchir des seuils : aller sur des marchés plus lointains, aborder des clients qu’elles n’auraient pas pu aborder seules, ou encore répondre à certains appels d’offres auxquels elles n’auraient pas eu accès sans partenaire. Ces échanges favorisent également le benchmark et permettent de s’inspirer de ce que les autres font mieux que soi (marketing produit, pricing, etc.). Autre avantage majeur : la collaboration à l’export permet une meilleure visibilité de l’offre et une plus forte attractivité pour les prospects. Elle permet de disposer d’une offre plus complète, de stands plus grands sur les salons, de plaquettes plus attractives, et d’attirer certains types de clients que l’on n’aurait pas pu intéresser tout seul.
Comment avez-vous procédé pour l’étude quantitative ?
Je me suis intéressé à huit pratiques collaboratives s’inscrivant soit dans l’exploration (nouveaux marchés et nouveaux produits) soit dans l’exploitation (marchés et produits existants). J’ai étudié l’effet de ces pratiques sur le niveau d’internationalisation avec trois indicateurs : le pourcentage du chiffre d’affaires réalisé à l’international, le nombre de marchés servis (pays et régions) et la vitesse d’internationalisation (délai entre deux nouveaux pays successivement abordés).
Quels sont les principaux résultats obtenus ?
Premier résultat : on observe un effet positif de l’exportation collaborative sur le nombre de marchés servis. En clair, l’exportation collaborative permet d’être présent sur un plus grand nombre de pays et de régions à l’étranger. Les pratiques collaboratives qui influent positivement sur ce critère sont la prospection en commun, la distribution en commun sur de nouveaux marchés, l’échange de connaissances sur les marchés existants et la distribution en commun sur les marchés existants. Deuxième enseignement : le fait d’échanger de la connaissance et de l’information avec d’autres entreprises sur de nouveaux marchés accélère la vitesse d’internationalisation. Enfin, troisième résultat intéressant : la seule pratique collaborative qui a un effet sur le chiffre d’affaires réalisé à l’international est l’innovation en commun. Et paradoxalement, c’est la moins utilisée par les entreprises.
Existe-t-il des différences selon l’activité des entreprises ?
Effectivement, toutes les filières ne se valent pas. En analysant les données en fonction du type d’activité de l’entreprise, j’ai pu observer que pour les entreprises qui ne font pas des biens d’équipement, la collaboration marche mieux, puisque quatre pratiques ont un effet sur la part du chiffre d’affaires à l’international : l’échange de connaissance, la prospection, l’innovation dans la phase d’exploration, et la logistique et les services associés dans la phase d’exploitation. Par contre, pour les secteurs des biens d’équipement, je n’ai enregistré aucun effet favorable, et même un effet défavorable de la logistique et des services associés.
Que peut apporter l’exportation collaborative dans le contexte Covid ?
Avec le Covid, les marchés sont plus incertains et les entreprises ont plus que jamais besoin de réactivité et d’agilité pour saisir les opportunités. Il est plus difficile de voyager et la situation impose parfois de revoir ses modes d’entrée, en utilisant notamment le digital et le e-commerce. Cela implique également de repositionner certains produits. Les trésoreries sont malmenées, parfois fortement. Je pense que l’exportation collaborative peut aider à répondre à ce contexte difficile. Elle permet d’abord de mutualiser des coûts : suivi des distributeurs ou des clients, prospection digitale, logistique, présence locale, etc. Grâce aux pairs, elle donne également un accès à de l’information sur les marchés, les clients, les contraintes et les tendances. Elle permet aussi d’identifier et de saisir en commun des opportunités. De même, elle peut aider les entreprises rencontrant des problèmes de sourcing suite à l’interruption de certaines supply chains, grâce à l’échange de contacts de fournisseurs.