L’Europe face au protectionnisme de Trump

Il avait prévenu, il commence à agir. Le Président Trump, le « Tariff Man » autoproclamé, a annoncé les premières augmentations de droits de douane vis-à-vis de la Chine, du Canada et du Mexique. L’Europe ne perd rien pour attendre, son tour viendra bientôt.
Certes, la tendance n’est pas nouvelle, et les Etats-Unis, durant le premier mandat de Trump comme pendant celui de Biden, et même auparavant, ont déjà pris de nombreuses mesures de protection. Mais la future vague protectionniste américaine, par son ampleur probable comme par ses objectifs affichés, marque un changement d’époque. En prolongeant et amplifiant considérablement les tendances à l’œuvre depuis une dizaine d’années, en revendiquant un protectionnisme désinhibé, cette politique commerciale signifie la fin d’une ère, celle de la libéralisation progressive des échanges internationaux, dans un cadre multilatéral, celui du GATT puis de l’OMC, souvent sur initiative américaine d’ailleurs. La règle de droit est désormais méprisée, seule compte la loi du plus fort.
Cette nouvelle donne est porteuse de risques considérables pour le commerce mondial, pour l’Europe particulièrement.
La détestation que le Président américain semble vouer au modèle institutionnel de l’Union européenne, et le déficit des échanges de biens des Etats-Unis vis-à-vis du Vieux Continent (151 milliards d’euros en 2022) vont le pousser à agir brutalement, conformément à son style de gouvernement. Les conséquences macro-économiques de ces mesures sont difficiles à mesurer à ce stade, mais leur impact sera à n’en pas douter sévère pour l’économie européenne, au moment même où celle-ci donne d’évidents signes de faiblesse. Les Etats-Unis sont le premier client de l’Europe et son premier excédent commercial.
Quelle sera la réaction européenne ?
Face à ce probable tsunami protectionniste, quelques principes simples devraient guider la réaction européenne.
Le premier est la nécessité de l’unité des Européens, dans ce domaine comme dans bien d’autres. La démarche de Trump est faite de transactions et de rapports de force. Seule l’Union européenne dans son ensemble a le nombre de « divisions » suffisant pour engager une négociation un tant soit peu équilibrée avec les Etats-Unis. C’est une évidence, mais il faudra éviter que certains Etats membres recherchent des arrangements bilatéraux. Le risque n’est pas ici la Hongrie ou la Slovaquie, car leur poids économique est marginal, mais l’Allemagne et l’Italie.
Une fois cette démarche unitaire assurée, il faudra certainement tenter de négocier avec l’Administration Trump afin de limiter le plus possible l’impact de ces mesures, et rappeler que le principal défi, pour les Etats-Unis comme pour l’Europe, est celui posé par la Chine, et que nos divergences sont pain bénit pour eux.
Dans sa démarche, l’Europe devrait aussi pouvoir s’appuyer sur les autres puissances commerciales qui restent attachées au respect des règles multilatérales, et à une régulation internationale du commerce. Le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la plupart des pays de l’ASEAN sont des partenaires économiques importants, et qui partagent dans l’ensemble notre vision des échanges internationaux. Même nos amis britanniques, dont la stratégie post Brexit du « Global Britain » est fondée sur le libre-échange, pourraient envisager de nous rejoindre sur ce sujet, car la tentation de négocier un accord commercial particulier avec les Etats-Unis est vouée à l’échec. Enfin, cette nouvelle situation va évidemment donner un éclairage différent à l’accord avec le Mercosur, malgré les réticences politiques françaises.
En cas d’échec, les Européens devront s’organiser pour relever le défi !
Dans le cas, malheureusement probable, ou les négociations euro-américaines ne déboucheraient pas sur un accord acceptable, les Européens devront s’organiser pour relever le défi. C’est le cas notamment pour la politique industrielle, qui face aux énormes investissements de nos concurrents chinois (plan « made in China 2025 ») et américains (Chips and Science Act, IRA, …) devra être considérablement renforcée. La mise en œuvre des rapports Draghi et Letta à travers la nouvelle stratégie dite de la « Boussole de compétitivité » proposée par la Commission est essentielle à cet égard.
C’est aussi le cas de la politique commerciale européenne. Plusieurs nouveaux outils ont été créés récemment : mécanisme anti-coercition, filtrage des investissements directs étrangers, instrument relatif aux marchés publics internationaux, procureur commercial européen… Des instruments plus traditionnels (droits anti-dumping, anti-subventions…) ont été utilisés de manière plus offensive, comme le montre la décision récente sur les importations de véhicules électriques chinois. Mais là aussi, le contexte nouveau appelle des actions plus déterminées. Cette politique est du ressort exclusif de l’Union européenne, et il faut donc pousser la Commission à la fermeté.
Appliquer sans trembler le principe de réciprocité
Vis-à-vis des Etats-Unis, une telle démarche implique d’être prêts à appliquer sans trembler le principe de réciprocité. Si l’administration Trump décidait d’appliquer, en dehors de toute règle du droit international, des droits de douane supplémentaires sur les produits européens, il faudra être capables de toucher à certains intérêts américains, sans tomber dans la surenchère. Les services pourraient être par exemple ciblés. Dans ce domaine, ce sont en effet les Etats-Unis qui sont excédentaires (113 milliards d’euros en 2022), ce qui a probablement échappé à l’analyse de Donald Trump. Et c’est probablement dans le numérique que des mesures pourraient trouver les meilleures justifications de fond : lutte contre l’abus de position dominante des GAFAM, protection des données, modération des contenus…
Il est malheureusement vraisemblable que Donald Trump ne comprendra qu’un langage de fermeté, fondé sur le rapport de force et le nombre de « divisions ». Espérons que les Européens, face à l’ampleur des défis, sauront surmonter leurs divergences et parler d’une seule voix.
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