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Les défis et les bénéfices de l’exportation durable

Les défis et les bénéfices de l’exportation durable

Qu’entend-on exactement par durabilité ?

L’expression « sustainable development » – traduite en français par « développement durable » – a été utilisée pour la première fois en 1987 par le Rapport Brundtland – du nom la Première ministre norvégienne alors présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU. Ce rapport définit le développement durable comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il souligne les liens entre activité économique, bien-être social et environnement naturel; et reconnaît qu’il existe des limites biosphériques à l’activité humaine. Les notions de besoins et d’équité et de lien entre les générations sont inhérentes au concept de durabilité.

Quelle est l’importance de cet enjeu dans l’agenda mondial ?

Le développement durable est une tendance impérieuse du 21e siècle. C’est selon moi le grand défi de notre génération et on constate aujourd’hui que la sensibilisation et l’intérêt à l’égard de ce sujet augmentent à l’échelle mondiale. Récemment, à la COP26, les leaders des pays du monde ont promis de mettre fin à la déforestation d’ici 2030 ; des constructeurs automobiles s’engagent, de leur côté, à ne produire que des voitures électriques d’ici 2030 (l’Union européenne a d’ailleurs annoncé qu’elle bannirait les moteurs thermiques sur les voitures neuves d’ici 2035), etc. Partout le développement durable est au cœur des débats de société et la pression s’accroît sur les entreprises.

Quels sont les principaux défis liés à la durabilité ?

Le développement durable s’appuie sur trois piliers : l’économie, la société et l’environnement. Les sujets économiques englobent énergie et technologie, production et consommation, emploi etc activité, commerce international, prospérité et niveau de vie matériel. Les sujets sociétaux renvoient aux notions de pauvreté et d’inclusion sociale, de développement personnel (éducation, santé, autonomie), d’égalité, de diversité, etc. Quant aux préoccupations environnementales, elles concernent les ressources en eau, le changement climatique, les terres, les paysages et les ressources, les écosystèmes et la biodiversité, la pollution et les déchets. Ce sont les problématiques qui sont résumées dans les 17 « Objectifs de développement durable de l’ONU »,dont l’atteinte représente un défi majeur pour les gouvernements du monde entier.

Comment atteindre ces objectifs ?

Les organisations – gouvernements et entreprises – doivent atteindre un « triple résultat » car la durabilité est à l’intersection des performances économique, sociétale et environnementale. Ce que l’on résume aussi par les « 3P » : People, Planet, Profit. La durabilité est une approche vraiment disruptive, qui impose de penser différemment, et pour les entreprises, de créer des catégories de produits ou de services ou des marchés entièrement nouveaux. La durabilité transforme réellement, par exemple, la manière dont les automobiles sont conçues. Il s’agit sans doute de l’une des plus grandes disruptions auxquelles les entreprises doivent faire face depuis 50 ans. Pour ces raisons, et du fait de notre manque de compréhension et d’expérience de tous les problèmes liés à la durabilité, il est difficile de trouver des solutions efficaces susceptibles d’être implémentées dans toutes les entreprises à travers le monde. Cela demande d’abord un changement de mentalité.

Comment la durabilité influence-t-elle aujourd’hui la demande mondiale ?

Une enquête GfK – Kantar montre les évolutions de la segmentation des consommateurs en Europe sur cette question de la durabilité. Elle distingue trois types de consommateurs : les « éco-actifs », acheteurs très soucieux de l’environnement et mettant en œuvre des actions pour réduire leurs déchets ; les « éco-concernés », également soucieux de l’environnement mais agissant peu pour réduire leurs déchets ; les « éco-indifférents », montrant peu ou pas d’intérêt pour l’environnement et ne prenant aucune mesure pour réduire leurs déchets. En Europe, entre 2019 et 2021, la part des « éco-actifs » est passée de 18 % à 28 %, celle des « éco-concernés » de 41 % à 44 %, et celle des « éco-indifférents » de 41 % à 28 %. A ce rythme, les « éco-actifs » représenteront 50 % de la population européenne avant 2030. Cette étude montre aussi que la crise du Covid-19 a agi comme un catalyseur pour la durabilité : même une large part (41 %) des « éco-indifférents » pensent que ces questions sont devenus plus importantes avec la pandémie. Une étude de McKinsey sur l’opinion des consommateurs sur le développement durable dans le secteur de la mode montre également qu’à la suite de la crise du Covid-19, les consommateurs ont modifié leur comportement dans le sens de la durabilité, en optant pour des produits plus durables, pour la réparation, la réutilisation ou le recyclage. Cette enquête montre aussi que les jeunes consommateurs, et en particulier les « millenials » (âgés de 24 à 39 ans), ont été les plus ouverts à l’expérimentation de marques plus petites ou moins connues pendant la crise.

Que nous apprend la recherche sur l’intégration de la durabilité en matière d’exportation ?

La recherche en international business montre d’abord qu’intégrer la durabilité dans l’exportation est une démarche payante. De nombreuses études, portant sur des entreprises exportatrices de différents pays, montrent qu’il existe un triple bénéfice, en termes de performance marketing, de performance financière et d’intensité de l’exportation, pour les entreprises exportatrices engagées dans la durabilité. Cet engagement en faveur de la durabilité augmente en effet l’acceptabilité des produits de l’entreprise par les consommateurs et se traduit par des gains de parts de marché. Il peut également générer des avantages en termes de coûts, grâce à des process de production et de distribution plus efficaces. Il permet aussi de se différencier, de se distinguer des concurrents, ce qui représente un avantage unique pour les exportateurs. En outre les PME engagées dans cette démarche créent également de nouvelles capacités managériales qui peuvent faciliter les process d’exportation : ainsi la capacité à innover, à comprendre les parties prenantes, à acquérir de nouvelles connaissances et à capitaliser sur ces connaissances, à améliorer la réputation d’agilité et de flexibilité du management sont fortement mobilisés par la recherche de durabilité et constituent par ailleurs des facteurs explicatifs de la performance à l’international.

Comment fonctionnent ces liens entre durabilité et performance à l’export ?

En premier lieu la durabilité peut créer un avantage de différenciation qui va mener à la performance à l’export. L’intégration de connaissances, qui permet de concevoir de meilleurs produits, conduit aussi à une meilleure performance. Les études montrent par contre que rares sont les exportateurs qui peuvent exploiter un avantage coût en même temps qu’ils adoptent une démarche de durabilité. Dans l’adoption d’un business model de durabilité, les exportateurs ont donc intérêt à se concentrer sur l’avantage de différenciation plutôt que sur l’avantage prix. Par ailleurs il existe des variables dites “modératrices” qui peuvent modifier soit positivement soit négativement la relation entre adoption de la durabilité et performance à l’export. La durabilité est par exemple davantage payante dans les pays développés que dans les pays en développement (sauf s’il existe dans le pays une réelle préoccupation publique pour la durabilité). Elle paie également davantage si la concurrence est intense; à contrario elle peut s’avérer contreproductive sur certains marchés si elle augmente les prix. Un exportateur maximise vraiment les effets de la durabilité sur sa performance s’ il réussit également à maîtriser ses coûts.

Quels sont les facteurs qui déclenchent l’engagement d’une entreprise pour la durabilité ?

La littérature académique montre que l’entreprise doit d’abord disposer (ou s’adjoindre) des ressources, financières, physiques et expérientielles. Les capacités technologiques, organisationnelles et d’apprentissage transversal favorisent également l’engagement en faveur de la durabilité. Les relations avec les parties prenantes, la culture d’entreprise, l’agilité du top management, la concurrence, la technologie et la réglementation sont également des facteurs déclencheurs.

Existe-t-il des stratégies standards en matière de durabilité à l’exportation ?

Nos recherches ont montré qu’il n’y a pas de stratégie standard en la matière. Le succès dépend de l’adaptation et de l’adéquation de la stratégie de l’entreprise aux forces macro-environnementales et micro-environnementales du pays servi. Cette adaptation aide à développer des approches proactives en fonction des conditions économiques, réglementaires, socioculturelles, technologiques (forces macro-environnementales), mais également selon l’intensité de la concurrence, les caractéristiques des consommateurs, le potentiel du marché et les pressions des parties prenantes (forces micro-environnementales). La performance à l’export dépend de cette adaptation de la stratégie et du marketing. Des études ont également montré que le niveau RSE de l’entreprise et du produit, ainsi que l’innovation verte, permettent d’augmenter l’intensité des exportations. L’obtention et l’exploitation d’informations sur les marchés étrangers incitent les entreprises à développer de nouvelles approches et à innover.

Quel a été l’impact de la crise du Covid-19 sur les préoccupations pour la durabilité ?

Certains avaient prédit que le Covid-19 allait reléguer au second plan les préoccupations liées au développement durable. Mais ce que l’on a pu constater surtout, c’est qu’avec cette crise, des approches auparavant inimaginables sont devenues la nouvelle norme du jour au lendemain, ce qui a immédiatement amené un regard différent sur le changement climatique par exemple. Par ailleurs des pratiques qui peinaient à se développer ont connu un boom prodigieux: L’enseignement à distance s’est imposé en quelques jours; la livraison à domicile s’est fortement développée avec le confinement; les entreprises se sont aussi montrées capables de changer leurs pratiques; le télétravail et les réunions virtuelles leur ont montré qu’elles pouvaient réduire les déplacements. L’humanité a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et de changement, ce qui est prometteur pour l’adoption de la durabilité.. En outre, durant la pandémie, beaucoup d’entreprises ont aussi montré leur côté humain et ont fait des efforts supplémentaires pour leurs employés, leurs clients et leurs fournisseurs. Unilever, par exemple, a offert un paiement anticipé à ses fournisseurs les plus vulnérables. Mais la pandémie a aussi révélé un manque de préparation, d’adaptabilité et de résilience des entreprises et des gouvernements, alors que ce risque de pandémie était bien identifié et connu. Désormais, les gouvernements, les conseils d’administration et les dirigeants ne seront pas pardonnés de ne pas être préparés à divers scénarios de changement climatique. Et conclusion on peut dire que l’argument « je ne peux pas faire » est devenu plus difficile à admettre face au dérèglement climatique car cette crise covid a montré que l’on peut faire beaucoup de choses quand il le faut, quand la volonté est vraiment au rendez-vous.

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