Dans un contexte de sanctions massives et de forte dépendance aux exportations d’hydrocarbures, l’avenir de la Russie est incertain. Quels sont les scénarios possibles ? Les réponses de Julien Vercueil, professeur des Universités et vice-président de l’Inalco.
Mises à part les sanctions, quels sont les effets directs de la guerre sur l’économie russe ?
A partir du moment où la menace nucléaire est brandie à un niveau inédit depuis la crise des missiles de Cuba, le premier effet direct de la guerre, c’est que les perspectives d’avenir changent radicalement, en Russie comme ailleurs. Cette révision a un impact sur les décisions économiques des ménages et des entreprises. Avant même l’entrée en guerre, quand la tension est devenue très forte, on a ainsi pu observer des réactions immédiates. Des flux internationaux ont été interrompus ou fortement réduits par la seule perspective de conflit militaire : flux d’exportation, d’importation, d’investissements directs à l’étranger, de financements…
En Russie, le risque géopolitique s’est matérialisé par la révision des projets des entreprises, puis par le changement de comportement des ménages, avec une surconsommation de produits susceptibles de manquer à l’avenir : d’abord des biens durables en provenance de l’Occident, puis, à mesure que le conflit et que la chute du rouble se précisait, des biens alimentaires stockables. C’est l’un des éléments qui a précipité les ruptures d’approvisionnement.
Le système financier a été le premier affecté, car la monnaie est le lien entre le présent et l’avenir et un baromètre très volatil de la confiance dans l’autorité des différents agents économiques. Les marchés financiers sont ainsi les premières caisses de résonance des anticipations. Les premiers effets directs de la guerre ont donc été une fuite des capitaux et un affaiblissement de la devise russe.
Puis sont venues les sanctions internationales envers la Russie…
Rappelons que les sanctions préexistaient à la guerre. Depuis 2014, elles portaient sur les avoirs de certaines personnalités, mais aussi sur certaines grandes banques ou entreprises, qui ne pouvaient pas accéder à des financements en dollars à des durées inférieures à 30 jours. Le secteur pétro-gazier était également touché, en particulier par l’impossibilité d’obtenir des transferts de technologies de la part d’entreprises des pays sanctionnant la Russie. Les sanctions portaient aussi sur les biens à double usage (civil et militaire), comme les navires Mistral.
Dès février-mars 2022 se sont ajoutées de nouvelles sanctions, étendant notamment la liste des personnalités visées, mais surtout introduisant deux nouvelles mesures très significatives. La première a été de débrancher sept banques russes du système interbancaire Swift. La deuxième mesure concerne la Banque centrale de Russie (BCR), le prêteur en dernier ressort, qui s’est vue privée d’accès à une partie de ses réserves en devises, détenues par l’Occident et désormais gelées. D’autres sanctions se sont ajoutées en avril-mai, comme la fin de la clause de la nation la plus favorisée à l’OMC. Les Etats-Unis et le Canada ont annoncé la fin de leurs achats de pétrole et de gaz en Russie ; les sanctions Swift ont été étendues à 75 % du système bancaire russe (contre 25 % précédemment), puis l’UE a annoncé qu’elle s’orientait vers une réduction, et à terme une suppression, de ses achats de pétrole russe.
Comment les autorités russes ont-elles réagi ?
Devant l’ampleur très importante de la fuite des capitaux la BCR ne pouvait pas mobiliser autant de réserves qu’elle l’aurait souhaité (certaines étant gelées par les pays occidentaux) ; la première réaction des autorités a donc été d’augmenter les taux directeurs de la BCR (de 9,5 % à 20 %), pour maintenir une certaine demande vis-à-vis du rouble. Les marchés financiers ont été fermés durant trois semaines, puis ont rouvert à des niveaux très faibles. Un contrôle des changes très strict a été installé, dans un pays qui avait jusqu’à présent une législation assez libérale ; lequel contrôle exige que 80 % des recettes d’exportations en devises soient revendues à la BCR. Les retraits en devises des particuliers ont été interdits, et plafonnés à 5000 USD par semaine pour les voyages d’affaires. Les autorités ont donc restreint les possibilités d’action des acteurs économiques pour limiter les fuites de capitaux. Dans le même temps, elles ont annoncé la possibilité d’un défaut sur la dette souveraine en devises, avec l’idée que certaines échéances vis-à-vis de l’étranger seraient payées en roubles. Pour les ménages, un moratoire conditionnel sur les remboursements de prêts a également été mis en place. La BCR a aussi demandé aux banques de second rang de ne plus diffuser sur leur site internet une information économique et financière complète, ce qui illustre l’enjeu géopolitique de l’information économique : en temps de guerre, les données économiques baissent en qualité et sont même instrumentalisées.
D’autres mesures ont été prises ultérieurement. Le 23 mars, le rouble a été imposé comme monnaie d’achat du gaz russe. Puis en avril, les autorités se sont rendu compte que la situation leur permettait de détendre progressivement les taux d’intérêt, d’abord à 17 %, puis plus bas. De même, le contrôle des changes a été progressivement assoupli, avec la fin de l’interdiction des retraits des particuliers. Le 23 mai, les plafonds de change autorisés ont été remontés de 10.000 à 50.000 euros par mois. Les autorités russes détendent ainsi, petit à petit, les contraintes sur les agents économiques.
Comment le système financier russe fait-il face à la situation ?
Il a connu une crise initiale très violente, mais il s’est adapté par la suite. La fuite des capitaux concerne les investisseurs étrangers, mais aussi les résidents, particuliers et entreprises. Sur le seul premier trimestre 2022, le montant des fuites est estimé à 64 milliards de dollars. Ce phénomène a entraîné, dès les premières semaines, une très forte chute du rouble et des valeurs de la Bourse de Moscou dont l’indice (composé principalement d’entreprises énergétiques et de banques) a plongé de près de 40 %. Les exportations et plus encore les importations se sont aussi affaissées. On a aussi observé un rapatriement d’actifs et d’avoirs des non-résidents, en particulier des entreprises étrangères qui ont décidé de quitter la Russie, soit parce qu’elles sont sous pression des opinions publiques occidentales et veulent éviter les risques pour leur image, soit parce qu’elles considèrent que les perspectives économiques de la Russie sont très dégradées.
Dans une deuxième phase, le système financier a développé des processus d’adaptation. La chute des importations a été supérieure à celle des exportations, du fait du niveau très élevé des prix des hydrocarbures. Cet excédent de la balance des transactions courantes a entraîné un redressement du rouble, par ailleurs favorisé par les restrictions liées au contrôle des changes. Le marché du rouble se contracte, mais la demande reste alimentée par les rapatriements de recettes en devises et une offre assez faible du fait de la chute des importations. Le rouble se redressant, la BCR a pu alors détendre ses taux d’intérêt. Et alors qu’il avait été annoncé que les échéances d’obligations souveraines en devises seraient peut-être payées en roubles, la BCR a pu fournir jusqu’à présent les devises nécessaires pour le paiement des échéances.
Et l’inflation ?
C’est un point fondamental. L’inflation a démarré avant 2022, car la reprise économique de la Russie après la crise du Covid connaissait quelques déséquilibres. La BCR a augmenté à sept reprises son taux directeur en 2021 sans parvenir à réduire le taux d’inflation, qui a atteint 9,5 % juste avant la guerre. Puis, la chute du rouble a provoqué une très forte accélération de l’inflation au mois de mars. Pour le seul mois de mars le taux a atteint 16,8 %, ce qui correspond à 140 % d’inflation en rythme annuel.
Quels sont les effets persistants et les projections à court terme ?
Traditionnellement, et on n’y coupera pas en Russie, il existe un phénomène de persistance des effets de l’inflation après l’impulsion initiale (“effet d\’hystérèse”). Le pic inflationniste qu’a connu la Russie en mars va exercer ses effets pendant un an. Même si elle n’a été que de 1,5 % en avril, (soit 16 ou 17 % sur un an), l’inflation restera élevée. Même si les prix devenaient atones par la suite cela va poser des problèmes sérieux.
Les effets sur l’offre sont aussi très significatifs puisqu’il y a un problème d’approvisionnement en composants critiques. Aujourd’hui, en Russie, les usines automobiles sont à l’arrêt, faute de pièces détachées. Il semble qu’il y ait aussi de grandes difficultés de renouvellement du matériel d’armement. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, beaucoup d’autres industries étant concernées par ce manque de composants critiques, y compris l’industrie pétrolière.
L’endettement en devises des entreprises est aussi une question importante, qui aurait pu être critique si le taux de change du rouble était resté très bas. Elle pourrait se poser à nouveau si le taux de change venait à plonger.
Les effets sur la demande sont à mon avis les plus graves, comme cela a été le cas lors des crises précédentes en Russie, car ils concernent 65 % du PIB (le poids de la consommation en Russie). Avec l’inflation, le pouvoir d’achat des ménages va fortement chuter. Si on compare à 2015, dernière année de crise forte en Russie, consécutive à un enchaînement proche de celui d’aujourd’hui mais moins fort, la consommation a baissé de 9 %. Cela donne un ordre de grandeur pour 2022, avec une possibilité que la chute soit supérieure. La contraction de la demande aura des effets de second tour sur l’offre et créera un effet de dépression.
Le rôle de la rente tirée des hydrocarbures est un élément crucial dans les projections car la Russie est une économie rentière. On va avoir une chute de la demande intérieure (consommation et investissement) et on a observé une forte chute des importations. Mais la première variable clé, ce sont les exportations : il s’agit de savoir quelle sera l’ampleur de leur baisse. Pour l’instant, on a une chute importante en volume mais pas tellement en valeur. Pour le gaz, on s’attend à une chute en valeur de 5 à 10 % sur l’année, ce qui n’est pas énorme, car l’effet prix compense presque l’effet volume. Pour le pétrole, il est plus difficile de prévoir précisément car cela dépend de nombreux facteurs, en particulier la possibilité de trouver des clients de substitution à l’Europe.
La deuxième variable clé, c’est l’inflation. Si elle reste aux alentours de 20 % comme le prévoit la BCR pour 2022, elle va rogner environ une dizaine de pourcents sur le pouvoir d’achat des ménages et donc créer un effet dépressif. Mais on peut imaginer des scénarios dans lesquels elle s’emballerait à nouveau. Globalement, les projections effectuées aujourd’hui, aussi bien en Russie que par les organismes occidentaux, tablent sur une chute du PIB de l’ordre de 7 à 10 % en 2022.
Quels sont les scénarios envisagés à moyen terme ?
On peut proposer trois scénarios simples reposant sur deux variables. La première variable, la plus importante selon moi, c’est le devenir de la rente tirée des hydrocarbures. Soit elle se maintient à court terme, parce que les prix restent élevés et que l’UE ne se désengage pas fortement de l’achat de pétrole et de gaz russes, soit cette rente s’assèche. Dans le premier cas, on n’aurait pas de crise systémique de la Russie, mais une récession inflationniste, qui ferait perdre du pouvoir d’achat aux ménages et augmenterait la pauvreté, mais sans situation cataclysmique. Dans ce cas, l’Etat prendrait sans doute davantage de place dans l’économie russe, notamment pour soutenir les entreprises et les ménages. Cette emprise nouvelle de l’Etat inaugurerait une tendance sans doute appelée à durer.
La deuxième grande variable est exogène, c’est l’attitude de la Chine : interviendra-t-elle ou pas en soutien de la Russie ? Si oui, comment ? Premier cas : la Chine intervient de manière forte et compense le retrait de l’UE à tous les niveaux (financier, demande de pétrole, fourniture de biens d’équipement et de consommation, de technologies, etc.). On observerait alors une « simple » réorientation progressive de l’insertion internationale de la Russie sur le plan géographique en direction de l’Asie. La Russie resterait rentière mais deviendrait semi-asiatique, alors qu’elle est aujourd’hui largement européenne.
Le deuxième cas, c’est celui d’un faible soutien de la Chine à la Russie ; elle prend quelques parts de marché, mais ne va pas jusqu’à se substituer aux Occidentaux car elle ne souhaite pas trop se les aliéner. Dans ce scénario, le déclin socio-économique de la Russie serait plus prononcé ; l’économie resterait rentière, mais se trouverait davantage marginalisée au sein de l’économie mondiale.
Le troisième scénario est celui d’un assèchement à court terme de la rente, soit parce qu’il y a une très forte action des Occidentaux pour couper les achats de gaz et de pétrole, soit parce que les prix chutent. On s’orienterait alors vers une crise très profonde. L’Etat devrait intervenir beaucoup plus mais en entraînant de nouveaux déséquilibres, en particulier inflationnistes s’il ne peut pas s’endetter fortement. Dans ce cas, la Chine n’aura pas d’autre choix que de n’intervenir que faiblement, pour ne pas porter un trop lourd fardeau. Cet assèchement à court terme de la rente, combiné à une faible substitution de la Chine, entraînerait une situation de dépression économique ouverte et par conséquent une très haute instabilité politique. On aurait une Russie en crise, étatisée, plus dépendante de la Chine, et surtout très instable politiquement.
Quelles conséquences pour les entreprises françaises présentes en Russie ? Les réponses de Philippe Pelé-Clamour, président de la commission Eurasie des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCE).
Qu’est-ce que la guerre en Ukraine a changé pour les entreprises françaises présentes en Russie ?
Avant le 24 février, nous étions dans un monde où tout était encore possible : on pouvait exporter, mettre en place des contrats de licence et de franchise, construire des alliances, mener des acquisitions, implanter et diriger des filiales… Renault a par exemple commencé en exportant, puis en faisant des alliances dans les années 1995-2000, puis en conduisant des acquisitions emblématiques comme Avtovaz. A partir du 24 février, tout a commencé à changer et nous sommes entrés de manière un peu brutale dans une nouvelle réalité. Toutes les entreprises, qu’elles soient cotées au CAC 40, au SBF 120, sur des bourses régionales, ou qu’elles soient familiales, PME, ETI, sociétés de private equity ou coopératives, se sont interrogées sur ce qu’elles devaient faire face à ce conflit aux répercussions éthiques et potentiellement problématiques pour leur image.
Comment les entreprises ont-elles réagi ?
D’après nos observations, la réaction n’est pas du tout la même selon que l’on est un groupe coté, une entreprise familiale, un fonds d’investissement ou encore une coopérative. Un groupe comme Renault a mis deux mois avant d’annoncer son retrait, mais l’avait préparé en amont via sa cellule de crise. Dans ce processus, toutes les grandes entreprises ou les ETI ont mobilisé leur conseil d’administration. En effet, la gestion de cette crise n’a pas été uniquement du ressort du comité exécutif ou du patron local, mais a constitué une vraie problématique au niveau du conseil d’administration. Notre dernière étude a démontré son rôle et celui de ses différents comités : risques, audit, stratégique. Il est intéressant de relever que 78% des entreprises interrogées ont confirmé son implication dans cette crise (*). C’est un indicateur clair que les différents scénarios propres à chaque entreprise ont pu être partagés dans cette instance.
Concernant, les entreprises familiales, elles sont liées à des investissements dont la temporalité n’est pas boursière, mais plutôt de génération. Elles s’interrogent sur différentes options : prélever sur le patrimoine pour continuer à financer certaines opérations, maintenir une base pour la transmettre à la génération suivante ou bien faire une radiation d’actifs pour quitter ce marché. En parlant avec certains de ces actionnaires, j’observe qu’unanimement, et dans le grand secret de cette gouvernance si spécifique, elles ont souvent décidé de maintenir une présence. La plus emblématique, bien sûr, est le groupe Mulliez avec Auchan. Mais il y en a d’autres, qui sont restées parce qu’elles ont réalisé de gros investissements fonciers et se disent qu’en restant, elles seront gagnantes sur un horizon à 10 ans. Pourtant, il existe parfois un désaccord entre les différentes générations ; entre ceux qui ont bâti et pris la décision d’aller en Russie et ceux qui arrivent aujourd’hui au pouvoir. Ces derniers considèrent parfois que rester serait immoral et qu’il faut partir. L’arbitrage familial ne porte donc pas uniquement sur la protection du patrimoine, mais aussi sur un débat intergénérationnel à dimension éthique et de valeurs.
Enfin, pour les entrepreneurs français à étranger (EFE) la situation est très préoccupante tant pour ceux restés en Ukraine que ceux présents en Russie. Aucun dispositif public ne permet de venir les soutenir.
Quelles sont finalement les options qui s’offrent aux entreprises ?
Les scénarios envisagés sont de trois types. Le premier est une sortie pour des questions réputationnelles. On élabore d’abord un plan social pour ses salariés, puis on abandonne son investissement avec une provision. Le deuxième scénario est une sortie via ce qu’on pourrait appeler un « local LBO ». C’est l’exemple du choix d’une filiale de Dalkia (EDF), qui réalise 3,5 M€ de CA ; c’est l’équipe de direction locale qui va la porter. Il y a aussi le cas de Schneider Electric, qui réalisait environ 2 % de son chiffre d’affaires en Russie soit 580 M€. Cette filiale de 3500 personnes a également été reprise par son management local. On ne connaît pas les pactes d’actionnaires, les méthodes et les montants d’évaluation, mais il s’agit d’un moyen pour les grands groupes d’étanchéifier le plus possible leur situation vis-à-vis des sanctions internationales. C’est aussi une solution qui permet de maintenir l’emploi et de pouvoir envisager un retour. Dans le troisième scénario, au contraire, la décision est prise de rester, de réfléchir à ce qu’on peut faire avec les sanctions, d’essayer de s’adapter pour maintenir l’entreprise sur place. L’Oréal et Danone, par exemple, n’ont pas à ce jour annoncé un retrait et continuent à opérer. La problématique n’est bien sûr pas la même selon le pourcentage de chiffre d’affaires réalisé localement. Il est beaucoup plus facile de se retirer quand le pays ne pèse que 2 ou 5 % du chiffre d’affaires au niveau mondial, que lorsqu’on y réalise 10 ou 15 %. Si ce volume n’existe plus, il faudra le retrouver quelque part ; c’est aussi mettre l’équilibre de l’entreprise en danger, ce qui peut avoir des conséquences sur l’emploi en Europe et en France.
Quel est le raisonnement des entreprises qui choisissent de rester ; comment réagissent-elles au name and shame ?
Elles font un double pari, à la fois sur l’arrêt du conflit, qui finira bien par céder un jour la place à la voie diplomatique, et sur l’idée de la persistance d’un marché local russe en valeur rouble opérable. Toute la question sera ensuite de savoir comment transférer les résultats. Les entreprises qui resteront devront s’autofinancer sur la base du marché intérieur, sans aucune possibilité de recapitalisation par les maisons mères. Les décisions sont donc complètement différentes en fonction de la typologie de l’entreprise. Pour ce qui est de la question du name and shame, c’est sans doute encore un peu tôt pour se prononcer. Beaucoup d’entreprises ont été dénoncées pour continuer à opérer en Russie. On peut le comprendre quand on prend en compte les souffrances endurées par les Ukrainiens, dans ce conflit hybride voulu par la Russie. Mais une entreprise n’est pas un État, elle peut décider de se maintenir dans des territoires qui ne sont pas forcément dotés d’un haut niveau de démocratie ; c’est un choix qui lui est propre. Elles ont l’habitude d’être exposées au name and shame de courants d’activisme ou même à la critique des pouvoirs publics. Celles qui ont pris la décision de rester pensent qu’un jour la crise prendra fin et qu’à ce moment-là, elles retrouveront leurs actifs. Car on parle ici d’actifs industriels et immobiliers, dont elles veulent éviter la spoliation. Rappelons-le, ce n’est pas forcément le rôle de l’État de protéger les actifs des entreprises dans cette situation. C’est ce qui explique que l’on assiste finalement à plusieurs niveaux de réponse, entre des entreprises qui décident de partir, des entreprises qui annoncent qu’elles partent mais qui en fait restent un peu quand même, et des entreprises plus discrètes qui restent en espérant un temps meilleur (**).
(*) Étude d’impacts de la crise russo-ukrainienne sur les entreprises françaises CCE, 1er juillet 2022.
(**) « 50% des CCE interrogés ont cessé́ leurs activités en Russie ; 26% les ont arrêtées partiellement ; 24% ont maintenu leur présence sur le territoire russe ».