Comment optimiser la performance et la complémentarité des coopérations franco-allemandes ? Entretien avec Christoph Barmeyer, professeur à l’université de Passau (Allemagne) et consultant pour de grandes entreprises des deux pays
Comment les différences culturelles entre Français et Allemands se traduisent elles dans le travail ?
Malgré la proximité géographique, les différences entre les deux pays sont nombreuses et souvent sous-estimées dans le travail. En étudiant le management chez Arte avec un collègue universitaire français, nous avons par exemple constaté que le rôle hiérarchique est beaucoup plus marqué et plus affectif chez les Français. Selon les cadres de l’entreprise interviewés, le chef français se voit comme « le patron », celui qui prend les décisions ; il est très présent auprès de son équipe. Alors que le chef allemand se considère comme le « premier parmi ses pairs » (« primum inter pares »): il pratique une vraie délégation des décisions, veut que « la machine fonctionne » et ne tient pas à beaucoup se montrer. Résultat : dans les entreprises franco-allemandes les Français estiment que leur manager allemand n’est pas assez présent et ne s’occupe pas assez d’eux, tandis que les Allemands déplorent que leur chef français décide de tout et les contrôle trop.
Chez les Français, la communication est aussi plus naturellement continue, informelle et personnelle. Beaucoup de discussions ont lieu à la pause café ou au déjeuner. En Allemagne, la communication est structurée, et le lieu de travail c’est la meeting room, pas l’extérieur. On préfère des réunions plus formelles, plus cadrées et plus préparées, avec ordre du jour et compte rendu détaillé ; on écrit beaucoup plus. Côté français, une réunion est généralement un échange plus improvisé, mais dans le même temps aussi plus créatif.
Comment dépasser cette « haute tension » qui peut régner entre Français et Allemands dans le travail ?
Les dynamiques culturelles sont très importantes. Nous ne sommes pas des robots, nous entrons dans des dynamiques d’échanges et de dialogue. Nous nous adaptons, dans un processus d’apprentissage réciproque et de développement.
A travers la recherche d’une « troisième voie » et de nouvelles solutions efficaces, les individus mettent en question les routines établies, ce qui stimule la créativité. Ainsi, de nouvelles pratiques « hybrides » émergent et forment une nouvelle culture de travail commune, reconnue par tous. Cette « culture négociée », mise en évidence par la recherche dans le domaine de l’interculturel, peut s’appliquer à la manière de faire les réunions, de développer les produits ou de gérer les projets. Fondée sur la complémentarité, elle peut dans l’idéal créer de vraies synergies et une réelle plus-value.
Pouvez-vous donner des exemples de développement de cette nouvelle culture de travail ?
Chez Arte, on s’est aperçu que si un projet demandait de la réactivité, il fallait plutôt travailler « à la française ». Et s’il fallait un dossier « hyper construit », il fallait plutôt le traiter « à l’allemande ». Les deux parties s’ajustent en fonction de la méthode choisie et on couvre ainsi tout le spectre. De même, les Allemands ont finalement apprécié ces pratiques françaises de prendre un café ou de parler business au déjeuner, dans un cadre plus agréable et plus informel qu’une salle de réunion. Chez Arte, est également née une sorte de novlangue, empruntant tour à tour à l’allemand ou au français en fonction de la simplicité ou de la pertinence des termes.
Chez Alleo – joint-venture entre la SNCF et Deutsche Bahn sur les trains à grande vitesse transfrontaliers – aussi on a cherché à mettre en place des solutions intéressantes : on y pratique les deux langues de manière équilibrée, on a mis en place des équipes binationales de contrôleurs, on s’est rapproché dans les styles des publicités (très différents au départ) et on développe des solutions techniques nouvelles grâce à l’apprentissage réciproque.