Que font les PME exportatrices face aux situations risquées qui pourraient compromettre leur succès à l’international ? Les réponses de Josée St-Pierre, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (Canada), qui a mené avec ses collègues une étude sur le sujet.
Pourquoi se préoccupe-t-on du risque à l’export pour les PME ?
Josée St-Pierre : Les nombreux bénéfices de l’export sont connus, mais il existe aussi des risques d’échec qui peuvent pénaliser les entreprises. L’exportation est caractérisée par la nouveauté et l’incertitude. Nouveauté parce qu’on va devoir travailler avec des partenaires commerciaux que l’on connaît moins, développer de nouveaux réseaux, composer avec une réglementation, une culture et un environnement institutionnel différents de ceux de son marché domestique… Ce qui peut imposer aux entreprises des adaptations de leurs produits et de leurs façons de faire. Quant à l’incertitude, elle porte sur les réactions du marché, la capacité d’adaptation de l’entreprise, le rythme de croissance… Et ces incertitudes peuvent bien entendu receler des risques d’échec.
On connaît les bénéfices de l’export mais on maîtrise moins les raisons qui peuvent mener à des échecs à l’international. Parmi celles-ci, figurent la sous-évaluation des exigences de l’export et de l’impact sur l’entreprise, le manque de préparation et de structuration de l’offre, les compétences limitées du personnel, la méconnaissance des réseaux de distribution, notamment. La plus importante source d’échec est de ne pas bien connaître ou anticiper l’ensemble des tâches et des routines qui seront à déployer tout au long du processus d’exportation : prospection des marchés étrangers, vérification de la capacité à répondre à une commande et préparation, fabrication des produits conformes aux besoins et aux exigences du client étranger, expédition et livraison de la commande. Ce sont des activités différentes et n’impliquant pas les mêmes ressources, mais comportant chacune des risques. Comment caractérise-t-on les risques à l’export
S.-P: Le risque peut être défini comme la « possibilité de survenance d’un événement susceptible d’affecter négativement la réalisation des objectifs de l’entreprise ». Mais tous les risques « perçus » ne sont pas nécessairement pertinents pour l’entreprise. D’autant que les entrepreneurs n’ont pas tous la même attitude face au risque : certains sont très réfractaires à la prise de risque quand d’autres sont plutôt stimulés par le risque et prêts à l’affronter. Les premiers ont tendance à exagérer le risque quand les seconds tendent à minimiser la probabilité que l’événement négatif se produise, ainsi que ses conséquences potentielles. C’est pour cela qu’on parle de « risques perçus ». Tous les risques perçus n’imposent pas aux entreprises de mettre en place des actions ; il faut que le risque considéré soit pertinent pour l’entreprise. Et pour cela, il faut identifier des « sources de risques ».
Dans un contexte international, les risques perçus concernent par exemple les partenaires qui pourraient notamment ne pas respecter leurs engagements moraux et contractuels, ne pas livrer la qualité attendue dans les délais convenus, ou alors qui livreraient des produits non-conformes aux exigences douanières, avec des retards dans les activités, l’insatisfaction des clients, la hausse des coûts, le non-respect des contraintes douanières, etc.Quelles sont ces sources de risque ?
S.-P: Une source de risque est « un état ou une situation existant dans l’environnement de l’entreprise susceptible de déclencher le risque ». C’est sur ces sources de risques que les PME doivent travailler pour évaluer ou mesurer le risque. Une fois ces risques perçus et ses sources identifiées, les PME peuvent alors planifier les actions, les routines ou les pratiques d’affaires à déployer pour atténuer ces risques.
En ce qui concerne parPar exemple, pour le risque que les partenaires ne respectent pas leurs engagements, les sources de risque peuvent être liées àse traduire par sont l’absence de réseaux dans le pays visé, le manque d’expertise et l’absence de recherche d’informations.
Quelles sont les principales actions pour atténuer ces risques ?
S.-P: Les pratiques de gestion des risques sont « des routines ou des actions visant à réduire l’occurrence d’un événement néfaste ou à en réduire les conséquences ». Car on peut intervenir à deux niveaux sur le risque : soit éviter que l’événement redouté se produise, soit, si jamais il se produit, en atténuer l’impact. Autrement dit, on peut agir sur deux éléments clés du risque : la probabilité qu’il survienne et son impact s’il survient. Par exemple, la non-livraison des produits à temps selon les exigences peut entraîner des conséquences négatives pour l’entreprise : frais de pénalité, insatisfaction des clients, perte de parts de marché… Or, ce risque existe parce que l’entreprise manque de connaissance de la logistique internationale, ce qui entraîne, par exemple, une documentation douanière incomplète ou des difficultés à définir le bon itinéraire ou le bon mode de transport. Pour atténuer le risque, l’entreprise peut miser sur l’acquisition de compétences en logistique internationale, grâce à la formation du personnel ou alors avoir recours à un prestataire de services logistiques.
Pour réduire les risques liés à ses partenaires étrangers, on peut visiter le pays visé, développer des collaborations, participer à des salons commerciaux…
Comment peut-on conceptualiser la gestion des risques ?
S.-P: La gestion des risques est « l’ensemble des actions consistant soit à réduire l’occurrence d’un événement ou d’une situation préjudiciable, soit à diminuer ses impacts non souhaités ». Ce domaine a pris de l’ampleur après le 11 septembre 2001, un événement « choc » qui a mis l’imprévisibilité à l’ordre du jour de nombreuses organisations. La succession de crises récentes (Covid, guerre en Ukraine, conflit au Proche-Orient) a encore renforcé l’importance stratégique accordée à la gestion des risques. Il existe des modèles de gestion des risques incluant différentes étapes. Les principales sont l’identification du risque, l’évaluation du risque après identification des sources de risques, la planification de stratégies et d’actions pour réduire ce risque, et enfin le déploiement des solutions retenues. Après plusieurs boucles de rétroaction (où l’on revient à l’étape précédente), on peut ainsi élaborer un plan de gestion des risques. Dans certains secteurs, la gestion des risques fait partie de la culture des entreprises (santé humaine, nucléaire, aéronautique, etc.) ; dans d’autres, cette pratique est moins développée.
Quels sont les bénéfices de la gestion des risques ?
S.-P: La gestion des risques est une ce qu’on appelle en management internationale une “capacité dynamique”, car on ne peut pas rester figé dans un environnement d’affaires turbulent, marqué par une récurrence de crises. La connaissance de l’entreprise doit être continuellement mise à jour pour suivre le rythme des évolutions de l’environnement. Les bénéfices de la gestion des risques pour la performance sont peu étudiés et peu connus, mais réels. La littérature académique indique que la gestion des risques améliore la planification et l’exécution des décisions opérationnelles en diminuant l’incertitude, réduit les pertes financières par la mise en place rapide d’actions correctives, aide à développer un avantage concurrentiel pour conquérir de nouveaux marchés, et permet un développement plus efficace sur des marchés éloignés à plus forte incertitude.
Quelles sont les pratiques des PME en matière de gestion des risques ?
S.-P: Malgré les avantages de la gestion des risques, peu de PME sont vraiment engagées dans ce type de stratégie. Selon la littérature, lorsqu’elle est présente, la gestion des risques se fait souvent en silo plutôt que dans une approche globale : chaque département (finances, production, marketing, RH, etc.) évalue ses propres risques. La recherche sur le sujet indique également que les PME ne font pas d’analyse systématique et que les décisions stratégiques sont plutôt fondées sur l’intuition. Elles adoptent des pratiques d’affaires sporadiques mais seraient peu structurées pour vraiment contrôler les risques à l’export. Comme la gestion des risques n’est pas vraiment au cœur des stratégies dans les PME, nous nous sommes demandé ce que font réellement les PME exportatrices face aux risques qu’elles peuvent rencontrer à l’international.
Comment avez-vous répondu à cette question de recherche ?
S.-P: Nous avons mené, en décembre 2020 et en mai 2021, une enquête téléphonique auprès de propriétaires-dirigeants de 500 PME industrielles québécoises (dont 235 exportateurs) sur leurs comportements et attitudes en matière de gestion des risques. Il s’agissait essentiellement de PME de moins de 200 employés, contrôlées par le dirigeant et sa famille, et commercialisant des produits très spécialisés. Nous nous sommes focalisés sur les 235 PME exportatrices, lesquelles exportent en moyenne plus de 20 % de leur production. On sait que les PME ne constituent pas un groupe homogène, il existe toutes sortes de profils qui dépendent de l’entrepreneur, du contexte, de l’environnement… Nous avons toutefois essayé de faire des regroupements et d’identifier des types de comportements en matière de gestion des risques. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur les pratiques de gestion des risques à l’exportation : analyser les marchés, participer à des salons, développer ses compétences, utiliser les services de conseillers, évaluer la capacité de production, mesurer régulièrement les impacts financiers… Et pour chacune, nous avons demandé aux dirigeants s’ils utilisaient cette pratique (sur une échelle de 1 à 5).
Quels sont les résultats obtenus ?
S.-P: Nous avons identifié trois groupes distincts pour caractériser les 235 PME étudiées : les PME « actives » en matière de gestion de risque (au nombre de 96), les PME « semi-actives » (83), et les PME « passives » (56). Nous n’adhérons donc pas au mythe de la littérature académique selon lequel les PME ne seraient pas actives en gestion de risque ; c’est faux, car il existe des comportements différents. Pourquoi ces différences ? D’abord, nous avons constaté que les regroupements reflètent très bien l’orientation entrepreneuriale : les PME « actives » sont plus innovantes et plus agressives commercialement sur les marchés. De plus, leurs attitudes, leurs motivations et leurs attentes face à l’export sont plus positives que celles des entreprises « passives » : l’export est vu comme « un défi intéressant », « un indice de réussite », « une façon d’accroître la fierté des employés ». Les entreprises « actives » sont très « stratégiques » face à l’exportation. Elles reconnaissent plusieurs sources de risque : incertitude sur les réactions des clients étrangers, investissements requis dans la production, manque d’expérience internationale dans l’entreprise, besoins financiers, incertitude sur la rentabilité, normes et règlements…
Les PME actives en matière de gestion des risques sont-elles plus performantes à l’export ?
S.-P: La distinction la plus intéressante entre PME « actives » et PME « passives » ne concerne pas le taux d’exportation, mais plutôt la destination des exportations : les PME actives sont davantage engagées dans des zones éloignées (plus risquées) que les PME passives. La gestion des risques a-t-elle un effet favorable sur la performance ? On ne peut pas le dire directement, mais les dirigeants des PME actives considèrent que leur performance est supérieure à celle de PME comparables en termes de niveau moyen de rentabilité, de degré de satisfaction client, de capacité à retenir le personnel compétent et à bien gérer les situations imprévues. On ne peut pas faire d’association directe entre gestion des risques et performance, mais on peut faire une association indirecte.
En conclusion, quels sont les principaux éléments à retenir de votre étude ?
J. S.-P : Les PME déploient différentes actions pour réduire les risques à l’export. Ces risques varient selon un certain nombre de contingences, ce qui rend spécifiques les comportements des PME. Celles qui considèrent l’export comme une plus-value à leurs activités et visent des marchés plus éloignés sont mieux à même de gérer les risques que les autres : leurs pratiques de gestion des risques sont cohérentes et conformes aux défis qu’elles perçoivent de l’export et à leur orientation entrepreneuriale. Leur performance globale est supérieure à celle d’autres PME comparables. Les PME ne constituant pas un groupe homogène, on ne peut pas généraliser leurs comportements ni les façons de les accompagner. On observe qu’elles sont actives en gestion des risques selon leur engagement international. Leur succès repose sur leur capacité à bien planifier les activités d’export en intégrant les difficultés qu’elles peuvent rencontrer. Cette planification doit se faire en considérant que le risque est une « perception » de ce qui peut arriver, influencée par le profil de celui ou celle qui la détermine. L’identification, la mesure et la gestion des risques devraient donc mobiliser des personnes de profils différents.