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Blockchain et commerce international

Blockchain et commerce international

Lettres de crédit, lutte anti-fraude, supply chain, smart contracts… Julien Prat, chercheur au CNRS, donne un aperçu des applications potentielles des technologies blockchain dans le domaine du commerce international. Entretien.

Quelles sont les propriétés fondamentales de la blockchain ?

La blockchain est une base de données de laquelle il est impossible de soustraire des informations – on ne peut qu’en ajouter. Elle est incrémentale et non modifiable – car toute tentative de modification serait immédiatement détectée grâce à une fonction cryptographique qui enchaîne les blocs de données entre eux.
Cette base de données dont on ne peut changer l’histoire permet non seulement d’enregistrer l’information de manière beaucoup plus crédible que dans une base de données classique, mais également de prendre des engagements pour l’avenir, qui seront gravés dans la blockchain et ne pourront donc pas être révisés. Voilà qui est susceptible d’engendrer une transformation des façons de faire pour plusieurs métiers.

En quoi la blockchain s’applique-t-elle au commerce international ?

Le commerce international repose sur une confiance mutuelle entre les acteurs. Dans un contexte où ceux-ci sont constamment appelés à franchir des barrières géographiques, culturelles, institutionnelles… la blockchain vient justement consolider le rapport de confiance (The Economist l’a d’ailleurs baptisée « trust machine »). Cette technologie devrait donc contribuer à réduire ou supprimer certains obstacles liés aux échanges internationaux.
A l’inverse du Bitcoin, qui est une blockchain publique, ouverte et conçue exclusivement pour les devises, les blockchains qui émergeront en commerce international seront essentiellement privées (ex. : entre banques ou au sein de la supply chain d’un grand groupe). Tous les acteurs seront identifiés, ce qui répondra à l’enjeu de confiance.

Quid des applications ?

La plus simple concerne les lettres de crédit à l’exportation ou à l’importation : grâce à la blockchain, elles seront automatisées et leur coût sera divisé par dix. C’est ce qu’a déjà annoncé le consortium we.trade, créé par huit banques européennes. Avec la blockchain, on peut même faire de la mise sous séquestre conditionnelle sans passer par une banque : l’acheteur peut virer des fonds, qui seront bloqués mais visibles dans la blockchain, puis débloqués automatiquement au profit du vendeur une fois la livraison confirmée, via UPS par exemple.
Le deuxième type d’application porte sur la détection de la fraude, la certification et la supply chain. Pour les grandes entreprises, l’enjeu des prochaines années est d’intégrer à la blockchain l’ensemble de leur supply chain. Carrefour et L’Oréal, par exemple, veulent être capables de tracer tous leurs fournisseurs ainsi que les fournisseurs de leurs fournisseurs. Tous les acteurs de leur chaîne d’approvisionnement seront invités à intégrer leur blockchain.
Enfin, les smart contracts (contrats intelligents) représentent une application très prometteuse de la blockchain. Alors qu’un contrat (légal) conventionnel spécifie les règles d’un accord entre les parties, un smart contract enregistre ces règles dans une blockchain.
Car sur la blockchain, on peut par exemple s’engager à payer quelqu’un de manière conditionnelle en fonction d’une série d’événements et ce, sans intervention d’un tiers de confiance (notaire, banquier ou assureur). Avec un contrat adossé à la blockchain, si les conditions sont remplies, les clauses sont automatiquement exécutées. Et comme on ne peut pas modifier son engagement, celui-ci est crédible, même à distance et même si les personnes ne se connaissent pas.
On peut ainsi aisément imaginer que la blockchain impliquera une redéfinition, voire une destruction, de certains métiers liés au commerce international; d’autres métiers ou de nouvelles activités feront vraisemblablement leur apparition, et les acteurs du commerce international doivent garder un oeil sur ces évolutions.

La Fabrique de l’Exportation
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