Comment les incubateurs, qui accompagnent les jeunes entrepreneurs sur le chemin d’un business model rentable, favorisent-ils l’internationalisation ? Les réponses de Tristan Salvadori, doctorant en sciences de gestion à l’IAE de Lyon.
Quel est l’objet de votre recherche ?
Je m’intéresse à l’internationalisation des étudiants – entrepreneurs. Cette recherche est fondée sur l’étude qualitative (suivi longitudinal sur deux ans) de 17 start-up accompagnées par deux incubateurs universitaires de Lyon (Manufactory et Beelys). Elle s’appuie également sur le suivi d’un projet de réseau européen d’incubateurs et sur ma propre expérience de l’entrepreneuriat.
Quelles sont aujourd’hui les données sur les incubateurs en France?
Il existe aujourd’hui en France environ 9 400 start-ups dont la moitié (51 %) sont incubées dans l’un des 300 incubateurs français – un nombre qui a triplé au cours des dix dernières années (Agence du Numérique, 2016). Il existe beaucoup d’incubateurs locaux (par région), verticaux (par secteur). Certaines entreprises sont membres de plusieurs incubateurs, ce qui leur permet ainsi d’utiliser les ressources de plusieurs réseaux de contacts et de compétences. Les jeunes entreprises réalisent 61 % de leur chiffre d’affaires à l’international, d’où l’importance pour les incubateurs de proposer des solutions dans ce domaine (Sources : Baromètre EY, 2018).
Quels sont vos premiers constats concernant l’international?
La plupart des étudiants – entrepreneurs pensent à faire de l’export ponctuellement lors de l’élaboration de leur Business Plan. Même si on parle beaucoup des entreprises « born global » on constate en fait peu de ventes à l’international au cours des premières années. En revanche, il existe beaucoup de prises d’information, voire de benchmarking sur les pratiques à l’étranger, en particulier sur les concurrents et les technologies : c’est vraiment le cœur de l’internationalisation des étudiants – entrepreneurs. Cette pratique contribue au développement d’une culture d’entrepreneuriat international (« International Entrepreneurship Culture »). Ces start-up ont d’ailleurs tendance à voir l’Europe comme un marché domestique, et les ventes dans des pays comme la Belgique ou la Suisse ne sont pas vraiment considérées comme des ventes à l’étranger.
Quelle est la relation des incubés à l’internationalisation ?
On peut distinguer quatre types d’entrepreneur : l’« opportuniste », qui n’a pas de culture internationale (ni de formation spécifique ni d’expérience dans ce domaine), mais qui saisit une opportunité à l’étranger ; l’« entrepreneur local », qui n’a pas non plus de culture internationale et souhaite rester local ; l’« entrepreneur international », doté d’une culture internationale et d’une volonté d’internationaliser son projet ; le « potentiel international », qui bénéficie d’une culture internationale mais n’a pas de volonté de s’internationaliser. Autant de profils que l’on n’accompagne pas de la même manière.
Quelles sont les formes d’aide à l’internationalisation apportée par les incubateurs?
On peut distinguer d’une part les ressources non financières, que constituent le réseau, les compétences et les locaux, et d’autre part les ressources financières, fondées sur l’accès aux financements publics et à des financements spécifiques d’aide à l’internationalisation. Le réseau est celui de l’incubateur et les compétences se fondent sur les expériences de l’entreprise, de l’accompagnant et des autres entreprises incubées.
Il existe une vraie émulation entre incubés via le partage d’informations et de techniques. Le réseau s’appuie sur des échanges et sur le départ d’entrepreneurs français pour des pays comme le Canada, la Chine, la Suisse ou les Etats-Unis, en vue de proposer leurs produits dans ces pays et de voir comment répond le marché. Il passe également par le partage de contacts et de clients potentiels à l’étranger, ainsi que par des échanges de bonnes pratiques.
Ces aides sont-elles efficaces ?
On constate que les aides non financières créent des opportunités internationales à court terme, ce qui n’est pas vraiment le cas des aides financières, qui n’ont pas porté leurs fruits dans ce domaine sur l’échantillon observé. Le développement du réseau est également une source de développement d’opportunités à long terme.
Avec cette polarisation sur le réseaux de contacts et de compétences de l’incubateur on voit émerger une “prospection internationale par réseau”, qui consiste à s’appuyer sur les contacts et les compétences du ou des différents incubateurs auxquels participe l’entreprise pour entrer sur les marchés. L’état d’esprit coopératif de toutes les entreprises membres de l’incubateur suffit à ouvrir de très nombreuses opportunités de marché grâce aux contacts personnels et aux experts recommandés.
Mon étude met également en évidence le rôle critique des accompagnants dans le développement de l’entreprise et du chef d’entreprise: selon son profil, plus ou moins international, l’accompagnant peut être un accélérateur ou un frein de l’internationalisation.