L’observation des précédentes crises montre que ce type de contexte est porteur de changements : vague d’innovations, nouvelles façons d’opérer sur les marchés, évolution des besoins de clients B2B ou B2C, nouvelles opportunités business, etc. Il est donc important de se doter d’un dispositif de veille permettant d’identifier très vite les “signaux faibles” qui annoncent les tendances de demain. Ainsi l’entreprise pourra élaborer des scenarii de sortie de crise plus pertinents et concevoir une stratégie de rebond.
Analyse
1 ) Connaître les principaux signaux faibles
Bien qu’ils puissent être propres à chaque secteur d’activité, voire à chaque entreprise, les signaux faibles relèvent en particulier des domaines suivants :
a. Changements dans les comportements d’achat :
– nouvelles attentes des clients ;
– évolution du niveau de prix cible du consommateur ;
– transformation des canaux de distribution : e-commerce, convenience stores ;
– évolution des modes de paiement ;
– etc.
b. Nouvelles pratiques marketing :
– nouveaux leviers de promotion : réseau sociaux, communications vidéos, influenceurs, etc. ;
– tendances pour s’adresser aux clients : nouveaux types de messages utilisés par les concurrents, etc. ;
c. Evolution des acteurs du marché :
– apparition de nouveaux acteurs ;
– retrait de certains acteurs (entreprises qui cessent d’exporter) et disparition d’acteurs existants (dépôts de bilan).
d. Plans de relance dans les différents pays :
– mesures sectorielles ;
– projets de recherche et politique de l’offre adoptés ;
– financement du commerce extérieur.
e. Influence de la société civile :
– attentes exprimées par les acteurs engagés (ONG, think tanks, etc.) ;
– prises de position des partis politiques ;
– etc.
f. Evolution du cadre réglementaire :
– éventuelles limitations à l’accès au marché ;
– nouvelles normes, barrières non-tarifaires en préparation.
g. Conditions de financement :
– accès au crédit ;
– évolution des délais de paiement ;
– comportement des bailleurs de fonds internationaux.
h. Evolution des marchés et des conditions de reprise :
– vous devez être en mesure de détecter en amont la reprise sur chacun de vos marchés ;
– il est possible d’utiliser des variables « proxies », variables plus faciles à mesurer que les indicateurs de vos marchés et corrélés avec eux. Ex. : le niveau des embouteillages du samedi est un « proxy » de la consommation retail ;
– selon le BCG Henderson Institute, l’intensité des mouvements des personnes et des biens, le niveau de la production et de la confiance seraient des “proxies” intéressants pour anticiper la reprise sur vos différents pays et marchés.
2) Réussir sa démarche de veille
Le succès d’un travail de veille s’appuie sur deux facteurs :
1. la mise en place des moyens et des mécanismes nécessaires, mais également l’existence d’une culture interne propice, pour favoriser le libre flot des informations entre toutes les parties prenantes de l’entreprise : salariés, clients, distributeurs, réseau.
– C’est le moment de tester et d’adopter de nouveaux modes de communication, comme par exemple la constitution de thésaurus internes sur google drive auxquels chacun des collaborateurs peut contribuer en y insérant ses observations sur l’évolution de la demande, de la concurrence, etc. (et que chacun peut consulter).
– Les moments d’échanges réguliers sur les signaux faibles collectés permettront d’affiner la connaissance de ces signaux, et seront autant de motivations supplémentaires pour que les parties prenantes approfondissent leur recherche.
2. la révision fréquente des scénarii de crise (repenser ses segments de marché, ses circuits d’approvisionnement et de distribution, ses process, son marketing, les composantes de son modèle économique, etc.) et son partage avec les parties prenantes permettent de donner un but et un objectif au travail de collecte des signaux faibles. Pour rappel, les entreprises doivent avoir idéalement trois scénarii de gestion de crise : un worst case scenario, un best case scenario et un scénario médian. Ce sont les signaux faibles qui alimentent le réajustement permanent de chaque scenario. Il est important de ne pas se focaliser sur le worst case scenario car la reprise est souvent plus rapide qu’anticipé. Sous-estimer son ampleur et sa date se traduit présente des inconvénients majeurs : manques à gagner, occasions ratées de reprendre le chemin de la croissance et de la prospérité, parts de marché prises par des concurrents.
3 ) Organiser la réponse en misant sur les signaux faibles : entre approche top down et bottom up
L’implication et le leadership du chef d’entreprise sont des éléments primordiaux pour prendre en compte des signaux faibles, mais aussi pour organiser la réponse et la stratégie de rebond de l’entreprise. L’ignorance du début ouvre assez vite la voie à la réflexion et l’apprentissage. Après avoir reçu et analysé les différents signaux, le dirigeant devra émettre des directives claires envers toute l’organisation (top down) afin de dissiper l’incertitude et la confusion provoquées par la crise. Cependant, la crise sanitaire oblige les organisations à assurer une décentralisation des décisions et responsabilités de manière à favoriser la réactivité nécessaire sur le terrain et la remontée diligente des informations du terrain (bottom up). C’est donc une synthèse des deux approches qui permettra l’agilité nécessaire.
Recommandations
Voici quelques recommandations sur la manière de prioriser son effort de veille pour tirer le meilleur parti des opportunités de la reprise.
Il faut se tenir informé sur les programmes de recherche qui visent à identifier des solutions thérapeutiques et à développer un vaccin contre le Covid-19. Il est notamment important suivre le déploiement de ces solutions : quels pays bénéficieront en premier de ces thérapies et/ou de ces vaccins, et à quelle échéance les autres pays suivront-ils ? Ces deux événements (identification d’un traitement efficace et production d’un vaccin) donneront le ton de la reprise dans chaque pays ; être capable de l’anticiper peut constituer un sérieux atout.
Au niveau sectoriel quatre forces sont à suivre sur l’écran radar pour anticiper les opportunités post-Covid.
Il faut ainsi :
– Observer les nouvelles attitudes : les changements attendus au niveau du rapport des citoyens et des consommateurs à la santé, l’hygiène, les relations sociales, les assurances, l’environnement, etc.
– Observer les nouvelles habitudes : notamment en ce qui concerne le travail à distance, les achats en ligne, l’apprentissage en distanciel, les visioconférences, etc.
– Identifier les nouveaux besoins et les besoins accrus : réingénierie des polices d’assurance, nouveaux business models en ligne, sources d’informations sur la santé, produits d’hygiène, de nettoyage, équipements et espaces de bureau à domicile, etc.
– Intégrer de nouvelles compétences nécessaires : l’intelligence économique, l’évaluation et la gestion des risques, la gestion de crise, comment devenir réactif, plus résilient, etc.
Dans la lecture des changements au niveau de la consommation il sera nécessaire d’adopter une lecture dynamique pour distinguer les phénomènes temporaires (qui ont vocation à disparaitre avec l’apparition des vaccins), ceux qui s’accélèrent, ceux qui sont en déclin et enfin ceux qui émergent.
Il importe de rester vigilant en ce qui concerne la réaction de l’opinion publique sur le sujet de la souveraineté et ses éventuelles conséquences en termes d’interdictions d’importer ou d’exporter, notamment pour ce qui concerne les produits agricoles, alimentaires et les dispositifs médicaux.
La question posée est donc “De quoi le Covid-19 est-il le point de départ ?” en général et dans votre secteur en particulier : de la massification du e-commerce ? du boom des salons digitaux ? de la fin des transports en commun, des habitats collectifs ? du boom des places de marché verticales BtoB ? du retour à des magasins multi-produits de proximité ? du boom des circuits courts ? du boom des produits Bio ? Ou bien de quelque chose qui nous a jusqu’à présent encore complètement échappé ?
Plus vite vous verrez la direction dans laquelle nous emmène cette crise, mieux vous pourrez y vous adapter.
Exemples de stratégies gagnantes
Stratégie misant sur l’importance de la communication interne et du réseau
Une entreprise chinoise a créé une app appelée Huatong qui est une plateforme interne de collecte et de diffusion d’informations, pour s’assurer que ses employés et ses franchisés sont armés avec des informations mises à jour en temps réel. Cela a permis à ses franchisés de prendre de très nombreuses décisions de façon décentralisée, donc réactive, en utilisant le bon référentiel pour évaluer les situations.
Stratégies valorisant l’émergence de nouvelle solutions
– Si la création d’Amazon comme vendeur online de livres date de 1994, c’est l’éclatement de la bulle Internet (2000) qui a amené l’entreprise à se relancer via des partenariats avec des entreprises extérieures et elle lança alors la “market place” qui fait aujourd’hui son succès et ceux qui ont adopté ce canal de distribution dès 2000 ont profité du boom d’Amazon depuis lors.
– Ceux qui ont observé dès 2001 l’émergence d’Alibaba (signal faible à l’époque) ont pu y construire une forte position et disposer très vite d’un vecteur commercial efficace ; pour mémoire, on attribue aux attentats du 11 septembre 2001 et aux restrictions sur les voyages des entreprises américaines le début de la folle ascension d’Alibaba.
– De la même manière ceux qui ont vu dès 2003 le début du boom du e-commerce en Chine (signal faible à l’époque) ont pu largement profiter de ce nouveau canal de vente ; pour rappel on attribue à l’épidémie de SRAS en 2003 le boom du e-commerce en Chine.
Exemples de fausses pistes
Dans les périodes de crise intense les medias abondent en contributions variées de la part des prévisionnistes. Gardez à l’esprit que leurs anticipations sont en général le fruit de leur propre idéologie, et qu’ils imaginent un monde post-Covid correspondant surtout à leurs souhaits. Par exemple, beaucoup espèrent une reprise plus “green” et pour autant les transports en commun sont pour l’instant un grand perdant de la reprise en Chine. Soyez agnostiques, factuels et non idéologiques ; regardez si les prévisions des uns et des autres se concrétisent dans des faits, des chiffres ; ne prenez aucune décision sur des tendances supposées.
Pour approfondir
Martin Reeves, Philipp Carlsson-Szlezak, Kevin Whitaker, and Mark Abraham, Sensing and Shaping the Post-COVID Era, April 3, 2020
https://www.bcg.com/fr-fr/publications/2020/covid-19-reaction-rebound-recession-reimagination.aspx
Martin Reeves, Lars Fæste, Kevin Whitaker, and Mark Abraham, Reaction, Rebound, Recession, and Reimagination, HBR, 23 mars 2020
https://www.bcg.com/fr-fr/publications/2020/covid-19-reaction-rebound-recession-reimagination.aspx
Martin Reeves, Lars Fæste, Cinthia Chen, Philipp Carlsson-Szlezak and Kevin Whitaker, How Chinese Companies Have Responded to Coronavirus, HBR, March 10, 2020
Joshua S. Bendickson, Laura Madden, William C. McDowell, Furkan Amil Gur, Entrepreneurial opportunity recognition in the face of disasters, International Journal of Entrepreneurial Behaviour & Research, March 2020.
Pour enrichir cet article
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Crédits et remerciements
Ce texte est une production du groupe de travail « Réfléchir aux nouvelles approches de l’export » animé par La Fabrique de l’Exportation dans le cadre du Groupe « Solutions pour l’Exportation » auquel ont participé l’Adepta, BPI France, Business France, les CCE, CCI France, CCI France International, ICC France, La Fabrique de l’Exportation, MEDEF, MEDEF International, l’OSCI et Stratexio dès le début de la crise du Covid-19. Les droits d’édition et de reproduction de ce texte sont réservés à ces organisations.
Ces textes ont été rédigés grâce aux contributions de Renaud Bentégeat, Chloé Berndt, Emmanuelle Butaud-Stubbs, Omar Boulenouar, Stéphane Boulet, Cécile Boury, Charafa Chebani, Jean-Paul David, Bogdan Gadenne-Feertchak, Philippe Gautier, Jean-Christophe Gessler, Michelle Grosset, Sophie Guichard, Christophe Hery, Stéphanie Le Dévéhat-Picqué, Fabrice Le Saché, Boris Lechevalier, Arnaud Leurent, Rémy Maréchal, Charles Maridor, Frederic Rossi, Gaël Sabbagh, David Séjourne, Etienne Vauchez.