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Industrie 5.0 et évolution des chaînes de valeur mondiales : étude de cas dans le secteur de la chaussure

Industrie 5.0 et évolution des chaînes de valeur mondiales : étude de cas dans le secteur de la chaussure

Fabrication numérique et durable de chaussures : un cas d’école

L’exemple de l’entreprise britannique de fabrication de chaussures VivoBarefoot montre comment l’innovation produit et l’industrie 5.0 peuvent amener à restructurer entièrement les chaînes de valeur mondiales. Une étude de cas présentée par Sergio Dulio, président de l’Association internationale des techniciens de l’industrie de la chaussure (UITIC), en Italie.

Quelles sont les principales caractéristiques de l’industrie mondiale de la chaussure ?

La fabrication de chaussures est une activité mondiale, répartie sur tous les continents, même si environ 84 % des chaussures commercialisées dans le monde sont produites en Asie. En 2023, pour la première fois depuis de nombreuses années, la production mondiale a reculé de 6 %, pour s’établir à 22,4 milliards de paires, par rapport à 2022. Même si l’Asie est aussi la région du monde où l’on consomme le plus de chaussures, la répartition géographique de la consommation est plus équilibrée que celle de la production. Par exemple, la consommation moyenne de chaussures par personne en Amérique du Nord est de 4,6 paires. 

La fabrication de chaussures est une activité à revenus élevés et sa contribution au PIB des pays producteurs est importante. Il s’agit d’un commerce « distribué » : les chaussures sont produites dans un endroit, transformées dans un autre, et consommées dans un autre encore. Les chaînes de valeur mondiales sont une conséquence de ce processus complexe et fragmenté. 

Aujourd’hui, il existe des signes indiquant que quelque chose est en train de changer : les exportations mondiales de chaussures ont diminué de 9,1 % en 2023. Entre 2014 et 2023, la part de l’Asie (principalement la Chine) dans les exportations mondiales a diminué légèrement (de 85,8 % à 84,6 %), tandis que la part de l’Europe a un peu augmenté (de 11,7 % à 12,6 %). Ce modeste changement indiquerait que le modèle global de production, d’exportation et de consommation de chaussures se modifie et se redéploie dans le monde. S’agit-il d’une « démondialisation » ou d’une « slowbalisation » ? Encore trop tôt pour le dire.

Comment la fabrication de chaussures évolue-t-elle ?

« L’âge industriel » de la production de chaussures date de plus d’un siècle. Mais au cours des 150 dernières années, la production de chaussures a été profondément transformée par la technologie. Progressivement, les paradigmes de l’industrie 1.0 à l’industrie 4.0 ont été adoptés. L’industrie 5.0 se concrétise presque désormais et les entreprises sont prêtes à adopter ses caractéristiques distinctives : durabilité, centrage sur l’humain, résilience.

Toutes les révolutions industrielles sont activées et pilotées par la technologie. Cela a été le cas avec l’industrie 4.0 et son « portefeuille » de technologies (robotique, automatisation, big data, Internet des objets, etc.). L’industrie 5.0 est aussi pilotée par la technologie, mais elle va plus loin : de nouveaux contenus et mots-clés apparaissent : collaboration, intelligence (et pas seulement artificielle), interfaces homme-machine, etc. Les humains, avec leurs compétences, sont désormais au centre de cette cinquième révolution industrielle. De plus, la durabilité nécessite une approche différente dans la fabrication des produits. Aussi, les chaînes de valeur mondiales de la chaussure doivent-elles devenir plus durables.

L’industrie 5.0 sera centrée sur la coopération entre l’homme et la machine, l’intelligence humaine fonctionnant en harmonie avec l’informatique connective. Travaillant avec des robots collaboratifs, les employés seront formés pour effectuer des tâches de production à valeur ajoutée. L’industrie 5.0 permettra également d’aller vers la personnalisation de masse pour les clients.

Dans ce contexte, comment l’entreprise Vivo Barefoot se positionne-t-elle ?

Vivo Barefoot est une organisation familiale indépendante, dont le siège est situé au Royaume-Uni. L’entreprise est certifiée B-corp (un label exigeant, de renommée internationale, qui reconnaît les bonnes pratiques des entreprises en termes d’impact social, sociétal et environnemental). Son objectif est de changer son business model en étant plus avancée sur le plan technologique, plus connectée aux personnes et plus durable – en phase, donc, avec l’industrie 5.0. Vivo Barefoot souhaite répondre aux standards industriels les plus élevés pour les humains et pour la planète, et contribuer à reconnecter les gens au monde naturel et à leur potentiel naturel – en commençant par les pieds.

L’entreprise a enregistré en 2022-2023 une croissance de 37 %, avec plus d’un million de paires de chaussures produites. Elle s’appuie sur une communauté de plus de deux millions de personnes. Vivo Barefoot a notamment produit 45.000 paires de chaussures baptisées « Revivo », avec un business model qui consiste à réparer les chaussures puis à les remettre sur le marché. Une vraie innovation en matière de durabilité dans un secteur célèbre pour l’exploitation, l’extraction et le court terme. L’entreprise compte 62.000 abonnés à une communauté baptisée « VivoHealth » qui considère les chaussures comme un moyen d’améliorer le bien-être. Récemment, elle a lancé un programme pionnier appelé « VivoBioMe », sur le concept « scan-to-print » (« numériser pour imprimer ») qui illustre parfaitement la manière dont une innovation produit amène à modifier le process de fabrication, et finalement à bouleverser complètement sa chaîne de valeur.

En quoi consiste plus précisément ce concept « VivoBioMe » ?

Le concept est simple et clair : il s’agit de revisiter la personnalisation à l’aide des technologies digitales. Il y a 10.000 ans, les humains fabriquaient des chaussures sur mesure – personne par personne, pied par pied – à partir de matériaux locaux. Parce qu’il n’y avait pas d’autre choix. 10.000 ans plus tard, Vivo Barefoot utilise les technologies digitales pour faire la même chose : des chaussures sur mesure, produites avec des matériaux locaux. Parce que nous n’avons pas le choix si nous voulons que l’activité soit durable.

D’un côté, la délocalisation de la production entraîne des problèmes : c’est lent, analogique, complexe, générique (non associé à des consommateurs individuels spécifiques), et c’est une fabrication « soustractive »; donc de plus en plus inefficace. Au contraire, le modèle de Vivo Barefoot consiste à opter pour une solution locale (onshore) qui est rapide, numérique, simple, qui donne la possibilité de personnaliser son produit et d’être « adaptif ». Finalement, l’opération se veut efficace et de plus en plus durable. Le concept « VivoBioMe » illustre une restructuration complète de la chaîne de valeur qui commence par une remarquable innovation produit. 

Les technologies digitales sont utilisées tout au long du processus de conception et de fabrication. Le process commence par l’analyse individuelle de chaque chaussure via un système de scan qui identifie tous les éléments spécifiques du pied d’une personne. La conception et la fabrication sont ensuite menées entièrement dans le monde digital (par impression 3D, « tricotage » des différentes parties de la chaussure et assemblage robotisé) en n’utilisant que la matière nécessaire, sans aucun gaspillage. De plus, à la fin de la vie du produit, il est possible de désassembler la chaussure et de recycler ses composants. Le produit est donc fabriqué localement, il est durable et recyclable ; et ce grâce à un processus radical et circulaire qui réinvente la façon dont les chaussures sont conçues et fabriquées. Cela entraîne une révision complète de la chaîne de valeur de l’entreprise. L’innovation commence avec un nouveau concept de produit qui impose une réingénierie du processus de fabrication. Cela implique aussi des relations différentes avec les fournisseurs de matériaux et de composants, et donc de restructurer entièrement la chaîne de valeur.

Quels sont, selon vous les principaux points à retenir de cette étude de cas ?

Tout part d’une vision, d’une mission et d’un modèle économique (fait sur commande, parce que c’est plus efficace). L’être humain est au centre (fait sur mesure, conçue pour un pied individuel). L’innovation de produit stimule l’innovation de processus. Les technologies numériques sont essentielles. La durabilité n’est pas une option mais un incontournable (fait pour être refait, les composants pouvant être séparés et recyclés autant de fois que possible). La transformation de la chaîne de valeur est inévitablement bouleversée en conséquence (fait localement, marché par marché). Et finalement, l’entreprise devient plus résiliente, parce qu’elle a un contrôle total sur les différents éléments de la chaîne de valeur, en localisant au même endroit la conception, la production et la distribution des produits. En intégrant tous les éléments de l’industrie 5.0, Vivo Barefoot montre ce que pourrait être l’évolution future de la fabrication de chaussures.

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