Le recrutement, la formation et la fidélisation des collaborateurs qualifiés constituent un enjeu majeur pour la réussite des entreprises françaises implantées en Inde. Entretien avec Nathalie Belhoste, enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management.
Quelles sont les principales problématiques RH en Inde ?
J’ai interrogé les managers français et les collaborateurs indiens de quinze entreprises (multinationales, PME et TPE) implantées dans quatre grandes villes indiennes (Dehli, Bombay, Pune, Bangalore). Comme le résume l’un d’eux, les problématiques RH en Inde tournent autour des trois R : « Recruit, Reshape, Retain » – recruter, former, fidéliser. Il s’agit d’abord de trouver les bons profils – nous parlons ici de personnes qualifiées, diplômées d’études supérieures et parlant anglais, destinées à occuper un poste à responsabilité. Il faut ensuite le plus souvent les former avant qu’elles soient réellement opérationnelles, puis les fidéliser, ce qui constitue en Inde une véritable gageure. Le taux de turn-over reste en effet élevé pour ces populations. Il atteint en moyenne 13,4 % selon KPMG (9,9 % dans l’industrie, 14,5 % dans l’IT, 19,4 % dans le retail). Une autre étude montre même que 54 % des travailleurs indiens qualifiés envisagent de quitter leur entreprise dans l’année, une proportion qui grimpe à 66 % chez les 18-24 ans. Beaucoup de managers ont l’impression d’investir beaucoup en recrutement et en formation pour des salariés qui partent parfois au bout d’un an..
Quelle est la principale raison de ce turn-over ?
La main-d’œuvre qualifiée indienne est clairement en position de force. Les diplômés de grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce sont en effet encore peu nombreux par rapport à la demande d’une économie en plein boom et aux besoins des entreprises, qu’elles soient indiennes ou internationales. Les jeunes diplômés sont bien conscients de ce rapport de force et n’hésitent pas à en jouer, ce qui peut dérouter les managers français. Pour cette génération, si on n’a pas changé d’entreprise au bout d’un an dans son premier job, c’est qu’on est un looser. Beaucoup arbitrent aussi avec des jobs aux Etats-Unis, où les indiens sont très recherchés, ce qui met une forte pression à la hausse sur les salaires.
C’est aussi une question de salaire ?
Oui, en partie. Pour les jeunes indiens diplômés, changer d’entreprise, c’est aussi faire un saut de salaire de 10 % à 20 %. L’Inde a toujours une image de pays à bas coût ou même d’ingénieurs à bas coût. Mais aujourd’hui, pour les profils vraiment compétents, diplômés des grandes écoles, il faut quasiment s’aligner sur le prix du marché international. Les salaires de sortie de l’IIM Ahmedabad (l’HEC indienne, dont les 300 diplômés trouvent un job en quatre jours) sont ainsi en moyenne de 27 000 euros sur le marché domestique (de 10 000 à 64 000 euros) et de 64 000 dollars sur le marché international (de 29 000 à 127 000 dollars).
Quelles sont les stratégies RH développées par les managers français ?
Les stratégies semblent dépendre de la vision du manager expatrié sur cette situation. Certains vont l’analyser avec une lecture culturelle, considérant que « les Indiens sont comme ça ». Ils vont avoir tendance à développer des stratégies de court terme et de compromis, à externaliser le recrutement. On retrouve dans cette catégorie des managers plutôt jeunes, travaillant dans des multinationales à rapide rotation de poste et pour lesquels l’Inde n’est qu’une étape dans leur carrière.
D’autres vont au contraire essayer de développer de nouvelles solutions avec une stratégie de long terme et d’hybridation entre bonnes pratiques occidentales et indiennes. Ils vont par exemple constituer des bibliothèques de CV, développer des formations de référence et s’efforcer de devenir un « benchmark » en termes de RH. On retrouve dans ce groupe des managers plutôt expérimentés, installés depuis au moins cinq ou six ans en Inde et manifestant un réel intérêt pour ce pays et prêts à engager dans une relation personnelle forte avec leurs employés voire avec les familles de leurs employés. Cette distinction entre visions court terme et long terme dans la construction de la stratégie apparaît déterminante dans la capacité des entreprises à réussir dans ce pays.
LA FABRIQUE DE L’EXPORTATION
Retrouvez l’intervention de Nathalie Belhoste, enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management.
Le marché indien est en pleine effervescence, poussant de plus en plus d’entreprises à s’y implanter. Cependant, une fois sur place, le recrutement, la formation et la fidélisation de la main-d’oeuvre (notamment de cadres qualifiés parlant anglais) deviennent des enjeux cruciaux pour le succès de l’implantation, sans compter les nombreuses spécificités du marché indien. Tour d’horizon des stratégies mises en place pour répondre à ce problème dans un contexte interculturel.