Peut-on considérer l’éducation supérieure comme une activité de service ?
La réponse est oui et pour beaucoup d’auteurs académiques les écoles de commerce privées sont des « entreprises de services à forte intensité de connaissance », au même titre que le conseil en gestion, l’ingénierie ou encore l’informatique. Ce sont des entreprises dont les services et les opérations commerciales dépendent fortement des connaissances professionnelles mises en oeuvre. Ce secteur est caractérisé par une forte personnalisation et une forte incertitude, et donc des risques élevés.
Quel rôle jouent les business schools françaises dans la formation en management et gestion en général?
Dans l’enseignement supérieur français, les écoles de commerce se distinguent des universités. Contrairement à ces dernières, ce sont des institutions privées, non financées par l’Etat, qui recrutent leurs étudiants sur concours. Elles accueillent plus de 52 % des étudiants en management/gestion. Elles font partie de la « Conférence des grandes écoles » et font l’objet de différents classements réalisés par des institutions ou des médias. Par exemple, L’Etudiant classe 38 écoles et dans le top 15, figurent cette année, dans l’ordre HEC, Essec, ESCP, Edhec, EM Lyon, Skema, Neoma, Ieseg, Grenoble EM, Kedge, Audencia, Toulouse BS, Montpellier BS, Rennes School of Business et ICN.
Quelles sont leurs sources de revenus ?
Leur financement, uniquement privé, provient de sources diverses telles que les contributions des Chambres de commerce, les frais de scolarité acquittés par les étudiants, la taxe d’apprentissage et les fonds apportés par des investisseurs privés, via la création d’associations ou d’un Établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC). Les écoles de commerce françaises doivent aujourd’hui faire face à une baisse des financements issus des Chambres de commerce et de la taxe d’apprentissage. Face à cela, leurs deux principales stratégies consistent à développer leur nom/marque à un niveau international et à trouver de nouvelles sources de revenus. Elles le font de trois manières : en réalisant des fusions et acquisitions, en développant des MBAs et des programmes de formation des cadres, et en se développant à l’international.
Quel est l’intérêt des fusions-acquisitions dans ce secteur ?
Le marché français étant saturé, les fusions-acquisitions permettent aux écoles de commerce, en changeant de taille, d’élever leurs classements et d’améliorer le recrutement des professeurs et des étudiants. Skema Business School est ainsi née en 2009 de la fusion entre Ceram Nice et ESC Lille. En 2013, ce sont BEM (Bordeaux) et Euromed Management (Marseille) qui se sont regroupées pour créer Kedge Business School, imitées la même année par ESC Reims et ESC Rouen, désormais réunies au sein de Neoma Business School. Ces fusions permettent aux écoles d’être plus compétitives sur le marché français. Mais il existe aussi des échecs comme celui de France Business School, issu en 2012 de la fusion de quatre écoles, ESC Amiens, ESC Clermont, ESC Brest et ESCEM (Tours, Poitiers, Orléans), et qui a fermé ses portes trois ans plus tard, en 2015. Sans doute les partenaires étaient-ils trop nombreux dans ce dernier cas pour que la fusion réussisse.
Quelles sont les cibles visées par la création de MBAs et l’offre de formation continue ?
Destinés à dégager de nouvelles ressources financières, les MBAs ciblent le marché international, affichent des frais de scolarité très élevés et sont généralement orientés sur un secteur d’activité, à l’image du MBA « Management du luxe et innovation » d’Excelia Business School ou du MBA « Commerce des vins et spiritueux » de Burgundy School of Business. La formation continue (executive education) cible plutôt les cadres sur le marché français. Et comme la plupart des multinationales basées en France sont situées à Paris, les écoles ouvrent des bureaux ou des campus dans la capitale pour attirer et accueillir cette clientèle de cadres.
Quel est le parcours-type d’internationalisation des écoles de commerce françaises ?
J’observe que les écoles ont souvent mis en oeuvre un processus d’internationalisation progressive qui correspond au modèle Uppsala : étape par étape au fur et à mesure que leur connaissance des marchés s’accroît.
Dans un premier temps, elles peuvent proposer des cours à distance et des échanges d’étudiants avec d’autres écoles ou universités à l’étranger ; dans un deuxième temps, elles ont tendance à établir des partenariats avec des acteurs étrangers sur les marchés visés sous forme de franchise ou de joint-ventures. C’est un développement international sans avoir à réaliser des investissements importants, mais qui implique une relation de confiance avec le partenaire. L’étape ultime consiste à ouvrir un campus en propre, un engagement équivalent à celui de la création d’une filiale avec les investissements et les risques que cela implique.
Le développement d’un campus à l’étranger suit également un processus progressif. Généralement les écoles commencent par y envoyer un expatrié de l’établissement d’origine et par lancer un programme « international business » ou « management international » ouvert aux étudiants des campus français, avec des professeurs français mais aussi locaux si possible. Après avoir pu établir leur réputation et leur légitimité sur le marché local, elles vont recruter une manager local et éventuellement y proposer des cours ou des programmes ciblés pour le marché local.
Comment s’opère le choix des pays cibles ?
Le premier critère est double : d’une part l’intérêt du pays pour le cursus des étudiants français de l’école, d’autre part la demande potentielle à satisfaire sur ce “marché” local ou régional. Ensuite pour choisir les lieux d’implantation de leurs campus à l’étranger, les écoles peuvent privilégier les pays où elles disposent d’un partenariat international déjà établi, afin de minimiser les risques. Elles peuvent également décider de créer un campus dans un pays en fonction du secteur/de la spécialité qu’elles souhaitent y développer, par exemple à Shanghai pour le commerce international, à Londres pour la finance, à San Francisco ou Raleigh aux USA pour les technologies de l’information. D’autres, comme Skema, privilégient dans leur choix d’implantation la proximité d’un pôle technologique, comme ce fut le cas début 2020 pour Skema Business School à Stellenbosch en Afrique du Sud. Lors de l’implantation du campus de l’Essca à Budapest en 1993, l’objectif était clairement de s’ouvrir aux pays de l’Est après la chute du mur de Berlin.
Pourquoi les écoles implantent-elles des campus à l’étranger ?
Les écoles de commerce françaises se développent à l’international :
– pour répondre à la demande des étudiants et des entreprises françaises qui souhaitent recruter des jeunes cadres parlant anglais et dotés d’une première expérience à l’international ;
– pour proposer une offre à l’échelle internationale ;
– pour aller chercher de nouvelles sources de revenus et de valeur ajoutée.
Déjà, plus de 3000 étudiants d’écoles de commerce françaises font une partie de leurs études à l’étranger grâce à des partenariats internationaux avec des acteurs locaux (business schools et/ou universités étrangères). Pour aller plus loin, plusieurs écoles ont développé leurs propres campus à l’étranger et plus de 10 000 étudiants y effectuent des séjours chaque année. Dans ce cas, les écoles doivent louer des locaux ou les acheter, ce qui suppose alors des investissements conséquents. En termes de présence à l’étranger, les écoles de commerce françaises se situent d’ailleurs à la troisième place, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Ce mouvement s’analyse également dans le contexte des accréditations des écoles de commerce à l’échelle mondiale. Les trois principales sont celle de l’AACSB (plutôt américaine), d’Equis (plutôt européenne) et de l’AMBA (plutôt britannique et centrée sur les MBAs). Ces accréditations jouent un rôle important dans l’attractivité vis-à-vis des potentiels étudiants. Aujourd’hui, 16 écoles de commerce françaises bénéficient des trois accréditations : elles ont la « triple couronne ».
Ces implantations à l’étranger ont-elles eu un impact sur la gestion de la pandémie de la part des écoles ?
Tout à fait. Les écoles dotées d’un campus en Chine ont été touchées plus tôt par la pandémie et par le confinement (novembre-décembre 2019). Deux mois avant l’arrivée du confinement en France (mars 2020), elles avaient ainsi déjà mis en place les nouveaux modes de fonctionnement nécessaires sur leur campus chinois. Ces écoles ont donc pu rapidement adapter ces solutions aux campus français. Les écoles qui étaient technologiquement prêtes et avaient déjà des cours en ligne multi-campus ont également géré plus facilement la situation. La plupart des écoles ont créé des équipes de communication de crise actives, réunissant les dirigeants des écoles et des différents campus – ainsi que, dans certains cas, des représentants des étudiants – afin de trouver les meilleures solutions et d’aligner la manière de gérer et de communiquer. Les directeurs des campus en Chine – pour les écoles qui en ont – ont joué un rôle important dans ces réunions.