La Fabrique de l’Exportation appelle depuis plusieurs années les entreprises à travailler ensemble pour aborder l’international, en adoptant des actions relevant de ce que l’on appelle l’exportation collaborative. A cet égard, son vice-président Jean-Christophe Gessler a co-écrit un livre sur le sujet en soulignant l’importance de l’ingénierie du projet, du temps long, de la culture du consensus.
Travailler avec d’autres exportateurs, voire avec des concurrents, est une fine alchimie qui demande un réel savoir-faire. Nous observons chez des pays voisins (Allemagne, Italie, Pays Bas, etc.) que les entreprises réussissent à mettre en oeuvre ces pratiques ; elles parviennent à organiser un projet et une gouvernance, parfois au terme d’un processus assez long, et le mettent en oeuvre ; cette approche collaborative peut même devenir un réflexe dans leur pratique de l’international. Ce n’est pas sans rappeler l’esprit de « coalition » et de compromis qui imprègne la vie politique de ces pays.
Les récentes élections législatives en France obligent, en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, à adopter une nouvelle approche de la vie politique ; et de la même manière que l’exportation en solo est trop coûteuse pour ne pas réfléchir à l’exportation collaborative, le pilotage d’une assemblée sans majorité absolue est trop difficile sans créer une forme de coopération entre les partis. Et si cette situation politique était l’occasion pour les partis politiques de mettre en oeuvre des solutions et mécanismes similaires ? Pour aller plus loin, les actions adoptées pour faire avancer le pays ne pourraient-elles pas inspirer les entreprises exportatrices ? En quoi le management et l’action politique peuvent-ils s’inspirer réciproquement ?
Partons de plusieurs constats de départ. Pour le pays, c’est celui d’une Assemblée nationale divisée en forces rivales dont aucune ne peut prétendre à décider seule ; ce sont aussi des postures et attitudes qui valorisent trop souvent l’esprit du clan, l’agressivité et les approches dogmatiques. Chacun pense détenir l’exclusivité des solutions à apporter au pays mais personne n’a les moyens de les appliquer.
Pourtant, la situation de la France et du monde oblige les représentants du peuple à bâtir des solutions face aux défis multiples qui nous attendent : éducation, changement climatique, sécurité internationale et nationale, pouvoir d’achat, énergie etc. Le blocage nous conduirait à la régression et à une marginalisation dont seuls les rivaux de la France bénéficieraient.
Le parallèle culturel peut être fait avec l’appareil exportateur français caractérisé par les contreperformances de la base industrielle de notre pays, le solde des biens chroniquement déficitaire, de très nombreuses PME trop peu efficaces à l’international, un manque de formation aux compétences en management international, un dispositif d’accompagnement largement perfectible, etc. L’approche française dans ce domaine est encore trop divisée, marquée par la défiance entre exportateurs ainsi qu’entre institutions. Pourtant l’époque est là aussi aux défis et opportunités à saisir, avec la croissance de la demande sur les continents asiatique et africain, et la concurrence de nos rivaux qui monte en intensité.
Dans les deux cas, nous pensons que le changement doit passer par un mode de fonctionnement et un état d’esprit différents. D’abord, on doit regrouper les acteurs capables de se donner un cap commun, en l’occurrence celui de l’intérêt collectif, qui pensent que la division sert les intérêts de certains à court terme mais en aucun cas ceux du pays à moyen et long terme. Il s’agit de partager le même souhait : celui de faire gagner le pays plutôt que son camp.
La suite repose sur du pragmatisme, de l’ingénierie et de l’exécution. Il faut identifier les problèmes qui seront adressés ; négocier autour des dénominateurs communs, à l’intérieur de la « zone d’accord possible » – un concept bien connu des négociateurs, trancher les différends et les arbitrages ; se répartir les responsabilités ; définir une feuille de route et un plan d’exécution. Nos voisins savent très bien le faire, une majorité d’Etats européens ayant des coalitions à leur tête. Leurs partis coopèrent pour gouverner le pays tout en gardant leur identité, qu’ils défendent à chaque élection.
Travailler avec d’autres exportateurs voire avec ses concurrents dans une logique managériale de coopétition revient à construire et non à stagner, à s’affirmer et non rester à la marge, à mettre en oeuvre ses ressources pour démontrer son talent et son expertise. Dans un cas, c’est le marché qui juge sur la base de l’offre qu’on lui adresse ; dans l’autre ce sont les citoyens qui évaluent les résultats et solutions que leurs dirigeants parviennent à mettre en oeuvre. Dans les deux cas l’Histoire retient les dirigeants qui ont su dépasser leurs idées et bâtir une vision inspirante sans dogme ni excès en tous genres.