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Comment les PME peuvent-elles développer et améliorer leur stratégie internationale de vente en ligne ?

Comment les PME peuvent-elles développer et améliorer leur stratégie internationale de vente en ligne ?

Pour intégrer avec succès le e-commerce dans leur stratégie d’internationalisation, les PME B2C s’appuyant sur des business models déjà établis doivent transformer leurs approches commerciales. Comment y parviennent-elles ? Entretien avec Emilia Rovira Nordman, professeur en stratégie et marketing à l’université de Mälardalen (Suède).
Pour intégrer avec succès le e-commerce dans leur stratégie d’internationalisation, les PME B2C s’appuyant sur des business models déjà établis doivent transformer leurs approches commerciales. Comment y parviennent-elles ? Entretien avec Emilia Rovira Nordman, professeur en stratégie et marketing à l’université de Mälardalen (Suède).

Quel est le thème de vos recherches ?

Nos recherches portent sur l’internationalisation des PME. Nous cherchons à comprendre comment les PME internationales se développent, et en particulier comment celles qui ont des business models déjà bien établis se lancent dans le e-commerce en adaptant leurs process.

 

Pourquoi avoir choisi des entreprises de vente au détail comme sujet d’étude ?

En Suède, le commerce de détail est caractérisé par une proportion plus élevée de PME actives au niveau international que dans les autres secteurs d’activité. Nous avons de belles réussites par exemple dans le domaine des montres (Daniel Wellington) ou des accessoires pour téléphone mobile (Ideal of Sweden). De plus, la croissance récente de la taille et du nombre de détaillants sur Internet a intensifié le degré d’internationalisation des petites entreprises de vente au détail. Pour un chercheur, se concentrer sur ce secteur simplifie donc le processus d’identification et de suivi des PME actives à l’international.

 

Quel est le  cadre théorique sous-jacent à ces recherches ?

La littérature académique sur le commerce international se concentre sur les grandes entreprises (firmes globales, multinationales ou transnationales), beaucoup moins sur les PME. Quant à la théorie sur l’entrepreneuriat, elle s’intéresse beaucoup aux nouvelles entreprises ayant des activités nationales, mais peu aux nouvelles entreprises internationales. Or, depuis les années 1990, les technologies de l’information ont rendu plus facile et moins chère la conquête de clients internationaux. De plus en plus d’entreprises sont internationales dès leur création, en rupture avec les théories classiques. Centrée sur l’entreprise, la recherche ignore aussi largement l’analyse au niveau de l’individu et du petit groupe, c’est-à-dire de l’entrepreneur et de son réseau.

 

Quel est l’objectif de votre étude ?

Le but de ce projet de recherche est d’explorer les fonctionnalités spécifiques qui permettent l’expansion internationale des PME par l’intermédiaire du e-commerce. Nous avons étudié cinq PME de vente au détail ayant au moins 25 ans d’existence, en menant des entretiens avec les fondateurs, les employés, puis en collectant des données sur ces entreprises. L’étude a été complétée par l’analyse d’un questionnaire auprès d’une centaine de détaillants en ligne, actifs sur les marchés étrangers. Pour respecter l’anonymat des sociétés, nous les avons désignées en fonction de leur secteur d’activité. Pour présenter nos résultats, nous nous appuyons sur trois cas : une « entreprise de design », une « entreprise pour bébés » et une « société de vente aux enchères ».

 

Quelles sont les stratégies suivies par ces entreprises ?

L’« entreprise de design » vend des produits de créateurs via quelques magasins en propre ou franchisés, mais surtout via des shop-in-shops dans les grands magasins. Elle commercialise ses produits sur les marchés étrangers depuis sa création, utilisant également un vaste réseau d’agents. Elle ne possède pas sa propre boutique en ligne, mais ses produits sont disponibles via les sites web de ses partenaires. En croissance rapide, les ventes en ligne représentent 30 % des ventes totales. Cette nouvelle donne implique pour l’entreprise d’utiliser « une boîte à outils complètement différente pour l’exportation ». La marque étant connue par les clients étrangers friands de design scandinave, ceux-ci n’hésitent plus à acheter en ligne. En coopérant avec des partenaires, l’entreprise peut atteindre des clients étrangers et faire levier sur les investissements en ligne des détaillants pour rendre les produits attrayants pour les consommateurs. Mais ce choix présente aussi des inconvénients. En plus de renoncer à une partie des bénéfices, l’entreprise doit faire face à une forte concurrence : les acteurs qui se battaient pour le même espace physique de vente dans les grands magasins rivalisent désormais sur les sites web pour attirer l’attention des clients. De plus, en n’exploitant pas sa propre boutique en ligne, l’entreprise n’a pas d’accès direct aux informations détaillées sur les clients. Elle a donc plus de mal à analyser et suivre l’évolution des comportements d’achat, des critères de choix, à personnaliser la relation avec ses clients, à anticiper leurs besoins et leurs désirs pour bâtir de nouvelles offres.

 

L’« entreprise pour bébés » a bâti son succès sur la commercialisation de porte-bébés avec une approche originale tournée vers les papas. Bien que des filiales de vente soient installées sur certains marchés, le principal mode d’internationalisation utilisé par l’entreprise reste la vente via des distributeurs choisis avec soin et alignés sur la vision de l’entreprise. Les achats en ligne ont poussé l’entreprise à repenser son business model. La société exploite sa propre boutique en ligne mondiale et a investi beaucoup de ressources pour adapter son site web aux clients et positionner l’entreprise comme une marque innovante. Les ventes en ligne restent pourtant limitées, ne représentant que 5 % des ventes totales à l’export. Le digital est surtout utilisé – avec succès – pour le marketing et la communication.

 

L’« entreprise de vente aux enchères » est une véritable institution en Suède pour les beaux-arts et les objets vintage uniques. Elle s’est développée sur les marchés étrangers avec des filiales et des agents. Mais son plus grand succès international est venu des enchères en ligne. L’entreprise a commencé à diffuser des enchères en direct dès 1997, puis a lancé une véritable application d’enchères en ligne en 2008, ce qui a généré une augmentation constante du nombre de clients internationaux. Neuf ans plus tard, en 2017, les ventes sur le web représentaient plus de la moitié du chiffre d’affaires total. L’entreprise a véritablement transformé son business model. La technologie et le marketing en ligne lui permettent de vendre chaque jour des objets à des clients étrangers dispersés géographiquement et lui offrent la possibilité d’atteindre des clients nouveaux et plus jeunes. Pour conserver la confiance de ses clients sur la qualité de ses produits, elle a investi massivement dans la présentation en ligne des objets et dans l’inclusion d’informations et d’évaluations d’experts. La sélection des objets affichés sur le site est aussi soigneusement organisée pour créer une expérience client fluide.

 

Quels enseignements tirez-vous de ces études ?

A partir de ces études de cas, nous avons identifié trois modèles archétypaux de stratégie e-commerce à l’international :

– Un modèle axé sur les actifs (asset driven) : l’entreprise utilise la notoriété, la réputation, les attributs de sa marque, etc., en travaillant des vendeurs en ligne. Jugeant trop risqué d’ouvrir sa propre boutique en ligne pour l’international, l’entreprise de design » a fait le choix d’utiliser des partenaires pour la distribution et de puiser dans des ressources externes pour accéder à des compétences. Ce partenariat avec des détaillants en ligne lui a permis d’entrer sur plusieurs nouveaux marchés étrangers. Mais cette approche consistant à gérer le e-commerce électronique international de manière indirecte et à distance entrave sa capacité à développer des compétences pertinentes et à gagner du terrain dans le e-commerce international.

– Un modèle axé sur le marché (market driven) : cette stratégie de commerce électronique vise à pénétrer des niches de marché particulières. Pour l’« entreprise pour bébés », le site web et la logistique liée à la vente en ligne ont nécessité des investissements initiaux significatifs. Au final, même si le site n’est pas véritablement un moteur de vente directe, il est devenu un puissant outil de promotion et de marketing, stimulant la reconnaissance de la marque et la notoriété du produit à l’échelle mondiale.

– Un modèle axé sur les capacités numériques (digital capability driven) : cette stratégie de commerce électronique s’appuie sur la création et la maîtrise d’un écosystème digital complet permettant à l’entreprise de transformer son business model. Pour l’« entreprise de vente aux enchères », la transformation vers un modèle commercial numérique était vitale. Elle a utilisé le e-commerce pour élaborer sa stratégie commerciale principale, en gardant le contrôle de toutes les activités commerciales liées aux ventes en ligne internationales. Cette stratégie lui a imposé des investissements initiaux substantiels. Mais elle lui a également permis de développer des compétences spécifiques en interne, intégrant à la fois le marketing et la technologie. Ces « capacités commerciales numériques »  lui permettent d’acquérir et de fidéliser des clients étrangers en répondant à leurs besoins en ligne.

 

Quels sont les autres principaux points à retenir ? 

Cette étude montre que plusieurs approches s’offrent aux entreprises qui souhaitent déployer leur commercialisation à l’international à la faveur du numérique. Les entreprises BtoC peuvent utiliser des partenariats pour surmonter les défis liés au commerce électronique international. Cela peut être un choix efficace pour gérer la phase d’entrée sur les marchés étrangers. Mais comme elles n’ont alors pas le contact direct avec le client et sont coupées de l’apprentissage direct du marché, cette stratégie peut finalement inhiber leurs capacités à rester compétitives à long terme.

Notre étude souligne aussi l’importance de prendre des risques, de réaliser des investissements et de développer des capacités pour exploiter des opportunités liées au commerce électronique international. Plus que les seules compétences marketing, ce sont les « capacités commerciales numériques », par lesquelles les entreprises alignent les fonctionnalités de la technologie numérique sur les besoins, les désirs et les habitudes des clients qui ont l’effet positif le plus fort sur le développement du e-commerce international.

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