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Les réseaux : un facteur clé de succès à l’international

Les réseaux : un facteur clé de succès à l’international

Pourquoi les entreprises développent-elles des stratégies de réseautage ?

Beaucoup d’entreprises qui souhaitent se développer à l’international font face à des problématiques de réseaux. Ce sont des problématiques très concrètes qui se posent à chaque phase de l’internationalisation, que l’entreprise cherche à exporter vers un nouveau pays ou souhaite s’étendre sur un marché étranger en créant une filiale par exemple. La principale faiblesse, le plus grand obstacle  auquel l’entreprise doit faire face dans un pays étranger, c’est justement le manque de réseau : le manque de contacts avec les clients, fournisseurs et acteurs institutionnels locaux (Etat, régions, chambres de commerce, etc.).

Dans la littérature académique, la vision classique de l’entreprise distingue deux types de capital qui permettent à l’entreprise de se développer à l’international : le capital financier et le capital humain. Détenus par des acteurs individuels, ils  représentent de réels actifs. Mais il existe une troisième forme de capital : le capital social qui repose sur l’ensemble des relations internes et externes que l’entreprise entretient.. Avoir des contacts dans le pays où l’on souhaite entrer ou s’étendre permet d’obtenir des informations, des contacts et des opportunités. Et cela passe par la relation avec d’autres acteurs.

Quels sont les éléments fondamentaux d’un réseau ?

Selon Cook & Emerson (1984), un réseau est un ensemble de connexions entre plusieurs acteurs, qui ne détiennent pas ces connexions individuellement, mais les partagent. Les deux éléments fondamentaux du réseau sont donc les acteurs et les relations. Mais cette définition reste incomplète, car un réseau, pour être stable et pour fonctionner, a aussi besoin d’une structure et de règles du jeu. Un réseau est donc constitué d’acteurs, qui forment les « nœuds » du réseau et sont connectés entre eux par des « liens ». Et tout cela forme des « structures », plus ou moins flexibles. Il existe également des « propriétés opérationnelles », c’est-à-dire des règles précises indispensables au bon fonctionnement du réseau. 

Les acteurs peuvent être des entreprises, mais aussi des individus, voire des pays dans une approche géopolitique. Les liens peuvent être bons ou mauvais, forts ou faibles. Les structures peuvent être formelles ou informelles. Et les propriétés opérationnelles sont les règles du jeu qui permettent de se comprendre et régulent la structure du réseau. Elles sont notamment liées à la langue, à la culture du pays, aux formalités liées à la négociation et à la signature d’un contrat, etc.

Quel est le rôle du réseau pour les individus et pour les entreprises ?

Pour un individu, comme pour une entreprise, il est très difficile de survivre sans établir aucune relation. Pour Johanson & Vahlne, « tout ce qui arrive, arrive dans le contexte d’une relation ». Les individus développent des relations pour atteindre des objectifs, privés ou professionnels. Ils sont dotés pour cela de capacités naturelles et peuvent même être considérés comme des « entrepreneurs de réseau », qui collectent des informations, détectent des opportunités et les saisissent dans leur réseau relationnel, au niveau professionnel ou personnel.

Pour les entreprises, le modèle de stratégie bien connu des « 5 (+ 1) forces de Porter » peut être vu comme un modèle de réseautage. Une entreprise interagit en effet avec différents types d’acteurs sous des formes variées : rivalité parmi les entreprises existantes, menace de nouveaux entrants, pouvoir de négociation des fournisseurs et des clients, menace de produits ou de services de substitution, contraintes réglementaires du gouvernement. Le cœur de ce modèle de stratégie, c’est la relation avec les différentes parties prenantes de l’entreprise.

Quelles sont les conséquences en termes de management international ?

Une entreprise multinationale peut être considérée comme « un réseau dans le réseau », avec d’un côté le réseau externe de l’entreprise (clients, fournisseurs, régulateurs, etc.) et de l’autre un réseau interne (équipes, business units, services, filiales, etc.). L’entreprise doit faire en sorte que toutes ces unités travaillent ensemble. Elle doit donc gérer son réseau externe mais aussi son réseau interne, et les articuler l’un avec l’autre. Le siège d’une multinationale ne connaît pas directement les clients de ses filiales. Il doit entretenir des relations de confiance avec les managers de ces entités (en interne) pour savoir ce qui se passe sur les marchés étrangers (en externe). Selon la « business network view », les entreprises doivent donc gérer deux types de réseaux : externe et interne.

La recherche décrit “le désavantage de l’outsider” ; en quoi consiste-t-il ? 

L’entreprise qui arrive dans un pays étranger souffre d’un désavantage par rapport aux acteurs locaux : au-delà de sa notoriété nulle ou faible, il lui manque en outre les contacts et la connaissance des structures et des règles du jeu des réseaux dans le pays. Selon la « business network view », ce « désavantage de l’outsider » (de l’étranger) – ce manque d’« insidership » – traduit les difficultés liées à l’entrée dans un pays étranger quand l’entreprise n’a aucune position dans les réseaux business locaux. Ce challenge de l’outsider présente des spécificités selon le mode d’entrée dans le pays cible : exportation directe ou indirecte, licensing / franchising, création d’une filiale ou rachat d’une société locale…

Quels sont justement les différents cas de figure selon les modes d’entrée ?

Dans le cas de l’exportation directe, l’entreprise a une relation directe avec ses clients. Mais elle est marquée par son origine et identifiée localement comme une entreprise étrangère. On ne lui communique des informations, des contacts et des opportunités qu’avec parcimonie. Ce type de relation réclame du temps et des efforts pour bien se connecter avec les acteurs locaux.

Avec l’exportation indirecte, la relation avec le client passe par un intermédiaire, par exemple un agent commercial. L’entreprise n’a donc pas de relation directe avec les acteurs locaux. Elle est dépendante de la médiation de l’intermédiaire, lequel garde précieusement son carnet d’adresses et protège ses contacts – qui sont sa raison d’être. S’il travaille aussi pour des concurrents, rien ne dit qu’il ne fasse pas un tri des opportunités en fonction de ses clients… Ce qui entraîne des dilemmes de type « principal-agent », avec une asymétrie d’information. On dit que le réseau est « intermédié » (« network betweeness ») : l’un des deux acteurs filtre l’information et occupe une position centrale sans laquelle il n’y a pas de contact.

Si l’entreprise entre sur un marché étranger avec une solution contractuelle de type licensing ou franchising, elle aura un contact avec le franchisé, qui travaille exclusivement pour l’entreprise (contrairement à l’agent), ce qui facilite la gestion de la relation et des informations. Mais le franchisé est perçu comme une entreprise étrangère, une émanation du groupe qu’il représente, même s’il s’agit d’un entrepreneur local. Il doit donc faire face au désavantage de l’outsider.

Dans le cas où l’entreprise crée une nouvelle filiale dans le pays cible, cette filiale va entrer en relation avec les acteurs locaux. Elle sera considérée comme une entreprise étrangère, mais qui embauche de la main-d’œuvre locale et paie des impôts dans le pays cible. L’accueil va être meilleur car l’entreprise crée de la richesse et de l’emploi sur le territoire. Il sera plus facile de créer des relations avec les acteurs institutionnels. Des portes vont s’ouvrir, ce qui modère le désavantage de l’outsider. Quant aux relations avec les clients locaux, elles sont gérées par le manager de la filiale ; l’entreprise a donc intérêt à soigner cette relation en interne. 

Lorsqu’une entreprise exportatrice opte pour le rachat d’une entreprise locale, celle-ci continue à être perçue comme locale, bien que désormais contrôlée par un acteur étranger. Cette stratégie du « passeport local », utilisée notamment par le Crédit Agricole en Italie, permet d’accéder immédiatement à un réseau existant. Ici, le principal challenge est celui de l’intégration à l’entreprise étrangère.

Enfin, si l’entreprise exportatrice choisit de former une joint-venture avec un partenaire local, elle s’ouvre aussi des portes car cette nouvelle entité est perçue comme locale, ce qui contribue à modérer le désavantage de l’outsider. L’enjeu se situe ici dans la relation avec le partenaire.

Quel est le rôle des réseaux dans le développement international des entreprises ? Entretien avec Stefano Valdemarin, professeur en stratégies de business
international à l’ESSCA School of Management (Lyon) et spécialiste du sujet.

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